> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v De l’utilité des prévisions économiques
2020-07 - Namur, le 2 novembre 2020. > [pdf]
(c) Dreamstime - Leerodney Avison
L’IWEPS (1) a publié ce 27 octobre ses prévisions d’automne pour la Wallonie (2).
La prévision économique, a été un de mes fonds de commerce. Je me suis toujours demandé pourquoi jamais personne, en plus de 30 ans, ne m’avait fait remarquer que les prévisions s’avéraient toujours toutes fausses, et souvent de beaucoup, et ne m’avait demandé, dès lors, quel était l’intérêt d’un tel exercice.
Car c’est un fait : un chiffre lancé au hasard dans une fourchette cohérente pour une prévision à 1 ou 2 ans possède sans doute une probabilité de réalisation aussi importante que les résultats des plus grands modèles mathématiques et économétriques jamais imaginés.
Là où la prévision serait la plus utile, elle est la plus démunie, à savoir sur la prévision des chocs. On peut comprendre qu’elle ne puisse pas anticiper les chocs exogènes comme les guerres, les renversements politiques, les caprices (ou vengeances) de la nature ou de la biologie. Mais les modèles sont tout aussi incapables de prévoir les chocs endogènes de l’économie, comme l’éclatement des bulles financières, boursières ou immobilières, ou les déséquilibres majeurs comme en 2010, celui des finances publiques.
Et même quand rien de spécial ne se passe, quand on pourrait espérer que les économies suivent tranquillement leurs trends, même dans ces moments paisibles, les experts de la prévision devront compter sur le hasard pour que leurs prévisions se réalisent. Et, au fond, heureusement. Les performances de nos économies de marché sont le résultat d’un nombre infini de décisions prises par des êtres humains libres d’agir comme ils l’entendent (ou à peu près). L’activité économique est donc par définition imprévisible. Pas tout à fait, je forcis le trait, le comportement de l’être humain, dans certaines conditions données, peut être en partie modélisé. En outre, l’inertie de l’économie laisse une légère pertinence à la prévision économique à 6 mois. Mais, au-delà, le quotient de certitude est très faible.
Alors pourquoi cette attention si forte à la parution de la moindre prévision économique, quel qu’en soit l’auteur ? Devant l’angoisse créée par l’incertitude de l’avenir, les êtres humains ont toujours cherché à le deviner, au mépris de toute rationalité. La dévotion aux pythies de l’avenir économique tient bien évidemment de cette angoisse, d’autant que les conditions économiques exercent une influence décisive sur notre vie quotidienne.
Mais si un esprit libre m’avait un jour posé la question de l’utilité de la prévision économique, j’avais une réponse. J’aurais certainement partagé son étonnement sur le peu d’esprit critique exercé à l’égard des prévisions économiques. J’aurais cependant aussi argumenté que si il ne faut pas accorder trop d’importance à la prévision elle-même, l’exercice n’en est pas moins utile. Même si le scénario prévisionnel proposé ne se réalise pas, sa confection a demandé une analyse poussée de la situation actuelle. L’exercice de prévision permet donc de mieux comprendre le présent, d’en déceler les déterminants, les causalités, et donc de mieux le maîtriser par des politiques appropriées. C’est au moins l’esprit clair qu’on avance vers le futur.
L’exercice prévisionnel permet aussi de construire un scénario solide et cohérent des variables-clés de l’économie (activité, emploi, chômage, inflation…), basé sur des hypothèses explicites. Ce cadre rigoureux va aider au pilotage de la situation économique, au fur et à mesure de l’évolution de ces hypothèses, des conditions exogènes, etc. L’exercice de prévision est donc un instrument de politique économique utile pour les gouvernements et, plus généralement, pour les décideurs publics et privés.
Par exemple, si on se penche sur l’exercice de prévision de l’IWEPS, dont je vous recommande la lecture, les prévisions du PIB pour 2020 et 2021 sont déjà dépassées en raison du nouveau confinement. Mais on y trouve une description analytique très intéressante de l’économie wallonne en temps de COVID, et plus particulièrement du comportement des principaux agents économiques qui la composent. Le document évalue aussi la pertinence et les effets de certaines mesures prises jusqu’à maintenant par les pouvoirs publics, il pointe les grands enjeux, et surtout le grand défi des prochaines années que seront l’emploi et le chômage. C’est donc un appel implicite aux autorités wallonnes à renforcer dès maintenant tous les dispositifs qui atténuent les durées du chômage et favorisent la création d’emplois.
Il serait néanmoins plus fécond intellectuellement de sortir de ce marché de dupes où tout le monde fait semblant de penser que les prévisions économiques ont une quelconque chance de se réaliser, et de présenter ces différents exercices comme un moyen de se préparer au futur, qui peut être multiple.
(1) L’Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique, basé à Namur.
(2) https://www.iweps.be/publication/tendances-economiques-n60/
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