> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Le nécessaire adieu à l’indicateur PIB
2020-09 - Namur, le 16 novembre 2020. > [pdf]
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Rappelons de quoi il s’agit : le Produit Intérieur Brut (PIB) est un indicateur économique qui comptabilise toute la production marchande (biens, services, privés et publics) d’un territoire (pays, région) sur un temps donné (habituellement l’année et le trimestre).
Le PIB mesure donc la performance économique d’une communauté humaine. Mais cet indicateur a aussi longtemps été considéré comme le meilleur indicateur du bien-être d’une population. Plus on était riche, plus on était heureux. Et, jusqu’à un certain point de richesse, c’est assez vrai. Si vous portez sur un graphique, pour tous les pays de la planète, un indice de bien-être et le PIB, la corrélation générale est forte, le groupe des pays riches affichent un bien-être élevé et inversement. Par contre, les corrélations à l’intérieur des groupes riches ou pauvres sont plus faibles, les plus riches ne sont pas les plus heureux, les plus pauvres, les plus malheureux.
Il ne serait donc pas si ridicule, pour certains pays ou régions en retard de développement social, de considérer le niveau du PIB, et donc sa croissance, comme un indicateur important pour mesurer la qualité de vie de leur population. Pour les pays "riches", par contre, la croissance du PIB n’est certainement plus un indicateur de bien-être très pertinent, d’où la nécessité de lui adjoindre ou de lui substituer d’autres indicateurs qui "captureraient" mieux l’état de bien-être de la population. De nombreux travaux ont été menés et ont abouti à la construction de nouveaux indicateurs. C’est vrai pour la Wallonie, pour laquelle l’IWEPS met à jour chaque année quelques indicateurs alternatifs. Malheureusement, très peu de publicité est faite à ces indicateurs qui ne sont guère mis en valeur.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Depuis le rapport du Club de Rome en 1970 jusqu’à celui du GIEC en 2018, nous ne pouvons plus ignorer que l’activité économique humaine entraîne de graves dommages aux écosystèmes écologiques de la planète et qu’elle en épuise les ressources à un rythme qui n’est pas soutenable dans le long terme. En d’autres termes, la croissance économique, telle qu’elle se déroule pour le moment, va mener l’humanité à des déséquilibres extrêmement graves qui vont entraîner décès, morbidités graves, guerres, migrations, désastres naturels, etc. Et ces déséquilibres écologiques vont même particulièrement affecter les pays actuellement "pauvres" ou en voie de développement. Donc, contrairement à ce qu’on pourrait penser d’un premier abord, une croissance non maîtrisée du PIB ne serait pas non plus bénéfique aux pays défavorisés.
Il ne s’agit donc plus d’une affaire d’indicateur, celui du PIB, qui ne rendrait qu’imparfaitement compte d’une réalité mais d’un indicateur qui devrait, pour une bonne part, être interprété à l’opposé de ce qu’il a été jusqu’à présent : au lieu de voir dans la croissance du PIB un indicateur même imparfait de la progression de notre bien-être à court terme nous devons aussi y voir la destruction de ce même bien-être, comme c’est, par exemple déjà le cas pour les citadins des métropoles très polluées, ou les populations habitant dans des régions où les catastrophes climatiques se multiplient.
En résumé, l’indicateur de niveau ou de croissance du PIB, en tant que tel, n’a plus qu’un intérêt limité pour la conduite des économies, à quelque niveau que ce soit. Comme l’écrit Eloi Laurent (1), économiste français : "Les trois horizons de l’humanité au XXIème siècle que sont le bien-être, la résilience et la soutenabilité échappent à peu près complètement à nos systèmes de mesure et de pilotages économiques". Il nous faut donc construire de nouveaux systèmes de mesure et de pilotages à l’aune des enjeux de notre siècle, ainsi que diminuer au plus vite l’importance démesurée qui est encore donnée à l’indicateur du PIB. Non seulement parce son interprétation est équivoque mais aussi parce qu’il nous maintient dans une vision erronée des bienfaits de la croissance économique. Il est une incitation à la poursuite des politiques actuelles qui cherchent à augmenter la croissance coûte que coûte. Eloi Laurent cite, dans son livre, Donella Meadows (2) : "les indicateurs découlent de valeurs (nous mesurons ce qui nous tient à cœur) et créent des valeurs (nous nous soucions de ce que nous mesurons)".
En dépit des efforts louables entrepris ça et là pour détrôner la prééminence de l’indicateur PIB, il ne faut pas se faire d’illusions : tant que les grands organismes internationaux économiques (FMI, OCDE, la Banque mondiale, la Commission européenne) n’auront pas abandonné l’indicateur du PIB pour le remplacer par d’autres, la mystification continuera de plus belle, et la croissance du PIB restera le principal objectif économique des gouvernements, ainsi que la référence pour évaluer une politique économique.
Précisons tout de suite que de plaider pour d’autres indicateurs que celui du PIB ne signifie pas un plaidoyer pour la décroissance, mais plutôt pour une autre croissance. Il est en effet difficilement imaginable de sortir de la pauvreté des centaines de millions de gens sans croissance, de même que la transition énergétique dans les pays plus riches entraînera vraisemblablement de la croissance.
Et la Wallonie dans tout ça ? Quels sont les indicateurs pertinents à adopter pour le pilotage de son économie et l’évaluation des politiques mises en œuvre ? Ce sera le sujet de la prochaine chronique.
(1) E. Laurent, sortir de la croissance – mode d’emploi, Les liens qui libèrent, 2019
(2) D. Meadows, Indicators end Information Systems for sustainable Development. A Report to the Balatom Group, Hartland, VT, The Sustainability Institute, 1998
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