> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Soutenir les plus vulnérables : l’inattendue recommandation de l’OCDE
2020-13 - Namur, le 14 décembre 2020. > [pdf]
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L’OCDE (1) a délivré un message quelque peu inattendu de sa part lors de la présentation de ses "perspectives économiques" ce 1er décembre (2). Ancrées dans le modèle économique du libre-échange, les recommandations de l’OCDE visent habituellement la performance économique à travers la concurrence et l’ouverture des marchés, la condamnation des aides publiques et de toute ingérence publique dans l’économie, la rigueur dans les finances publiques, la flexibilisation des marchés du travail ou l’activation des chômeurs.
Même s’il est injuste d’enfermer l’OCDE dans cette image simpliste, les conclusions des "perspectives économiques" de cette fin d’année tranchent avec le discours habituel. Elles tiennent en deux mots d’ordre : dépensez sans compter pour soutenir l’activité tant que la crise sanitaire dure et occupez-vous des populations les plus vulnérables.
Le plus simple est de citer le communiqué de presse :
"L’Organisation appelle les pouvoirs publics à agir avec détermination sur différents fronts :
- Renforcer les services de santé publique en investissant dans les professionnels de santé, les stratégies de prévention et les capacités sanitaires.
- Soutenir les personnes vulnérables en élargissant les systèmes de protection sociale et en améliorant la formation des jeunes et des personnes peu qualifiées. Veiller à ce que les enfants issus de milieux défavorisés soient préparés à l’ère du numérique, afin de garantir l’égalité des chances.
- Apporter un soutien aux entreprises sous la forme de subventions ou de fonds propres et non de prêts qui alourdissent encore leur endettement. Aider les entreprises à investir dans leur avenir, par exemple en leur facilitant l’adoption des technologies numériques."
Et pour celles et ceux qui s’inquiéteraient de la dérive des dépenses publiques : "Comme les taux d’intérêt devraient encore rester très bas pendant un certain temps, ces dépenses exceptionnelles peuvent, et doivent, se poursuivre jusqu’à ce que la reprise accélère."
Voilà qui est dit. Pour un changement de cap – même provisoire – c’est un changement de cap. Et peut-être l’amorce d’une nouvelle vision de l’économie, moins laissée aux forces du marché, plus inclusive, en un mot plus humaine. Ce serait là une de ces conséquences positives qui peuvent découler d’une crise.
Et voilà aussi une source d’inspiration pour le Gouvernement wallon dans la préparation de son plan de relance "Get up Wallonia" où, en particulier, la recommandation de "soutenir les plus vulnérables" doit trouver sa place. Déjà avant la crise sanitaire, la précarité d’une part non négligeable de la population était un problème endémique de la société wallonne. Qu’on en juge par deux indicateurs extraits de l’excellente publication de l’IWEPS "Les chiffres-clés de la Wallonie" (3) : plus d’un habitant sur 4 en Wallonie (26%) vit dans un ménage en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. 22% de la population wallonne vit dans un ménage dont le revenu net équivalent est inférieur au seuil de pauvreté.
Sur le front de l’enseignement, les indicateurs d’exclusion sociale sont aussi très préoccupants : 14% des jeunes de 18 à 24 ans connaissent un abandon scolaire précoce, et 14,5% des 18-24 ans ne sont ni à l’emploi ni suivent un enseignement ou une formation.
La situation est certainement en train de s’aggraver en raison des conséquences de la pandémie, comme en témoigne déjà la hausse des inscriptions au CPAS, les difficultés de nombreux indépendants, le désarroi financier de beaucoup d’étudiants, les risques de faillite, la montée du chômage, jusqu’ici modérée grâce aux mesures de chômage temporaire.
Le renforcement des systèmes de protection sociale est donc urgent, ne fut-ce que le temps de la crise sanitaire. Mais il faut surtout saisir cette prise de conscience collective pour favoriser des solutions durables qui sortiront définitivement les personnes de la précarité. Et c’est sans doute la création d’emplois qui sera décisive à cet égard, comme le suggère cette statistique qui indique que 18% de la population wallonne de moins de 60 ans vit dans des ménages à très faible intensité de travail. L’exclusion du marché du travail semble être une des causes principales de la pauvreté en Wallonie.
Une double politique est nécessaire : premier volet, favoriser la création d’emplois, notamment en stimulant l’entrepreneuriat et la croissance des entreprises ; mais deuxième volet en miroir, sans quoi les premiers efforts seront vains, former les personnes peu ou mal qualifiées et leur donner les moyens (crèches, mobilité, soutiens à la recherche d’emplois…) de pouvoir prendre les emplois actuellement vacants et les emplois nouvellement créés.
Mais ne nous faisons pas d’illusion : la "vulnérabilité" sociale et économique ne diminuera pas en Wallonie tant que l’enseignement n’y sera pas plus performant et plus égalitaire. C’est à l’école que commence l’exclusion, et dès le plus jeune âge. "Le pacte d’excellence" se voulait être déterminant sur les deux fronts. On peut craindre cependant qu’il soit un remède trop homéopathique pour les graves faiblesses de notre enseignement.
Dans l’immédiat, beaucoup d’espoir se porte sur "Get up Wallonia" dont la feuille de route pourrait être "protéger et intégrer par un développement économique innovant". Et, comme le propose l’OCDE, s’attacher à mettre en oeuvre "des politiques meilleures pour une vie meilleure".
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(1) OCDE: Organisation de Coopération et de Développement Economique est un organisation qui, selon son site, "œuvre pour la mise en place de politiques meilleures pour une vie meilleure". Elle est un centre unique de connaissance : statistiques, analyses, rapports sur une très vaste étendue de sujet. Par la très grande qualité de ses travaux, ses recommandations sont très écoutées et les forum qu’elle organise très suivis. L’OCDE rassemble 37 pays du monde "industrialisé".
(2) https://www.oecd.org/perspectives-economiques/decembre-2020/
(3) https://www.iweps.be/publication/cc2020/
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