> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v L’Europe économique en déclin ?
2020-14 - Namur, le 21 décembre 2020. > [pdf]
Photo dreamstime.com/Birgit Korber
Quittons la Wallonie le temps d’une chronique et envolons-nous pour l’Europe.
C’est le titre d’un article du journal "Le Monde" qui a retenu mon attention : "Pourquoi l’économie européenne décline depuis 40 ans ?". Les raisons avancées pour dresser ce constat très pessimiste tiennent dans le poids de moins en moins lourd de l’Europe dans le PIB mondial, une croissance moins dynamique qu’aux Etats-Unis, une richesse par habitant qui progresse un peu moins vite en Europe. Bref, aux dires des auteurs de l’article, l’Europe décroche. L’inquiétude doit nous saisir.
Ce serait donc la course à la croissance que l’Europe doit reprendre et gagner pour éviter le déclin. En est-on vraiment sûr ? N’est-ce pas là une vision assez passéiste des critères de performance d’une économie ? Car, sous bien des aspects, l’Europe est sans doute la région du monde où les conditions économiques et sociales sont les plus favorables.
Le niveau de vie moyen est élevé, les inégalités salariales moins creusées que partout ailleurs, la protection sociale est la plus étendue et la plus sûre dans le monde. L’Europe présente un surplus commercial, ce qui témoigne d’une force réelle de son économie et la met à l’abri d’une trop grande dépendance aux capitaux extérieurs. Les pays européens ont aussi créé une monnaie nouvelle, l’Euro, qui s’est imposée comme monnaie internationale et a déjà surmonté plusieurs crises. Si on ajoute le marché unique, force centripète très puissante, l’Europe est une économie solide. Pour ne rien gâcher, l’Europe est à la tête du combat contre le changement climatique et vers le développement durable. Pour une économie en déclin, ce n’est pas si mal.
En outre, le poids économique de l’Europe dans l’économie mondiale va bien évidemment continuer à diminuer, et il faut même le souhaiter, car cela signifiera que les pays en voie de développement ou les pays déjà émergents auront réussi à faire sortir leur population de la pauvreté, et, pour beaucoup, de l’extrême pauvreté. Ce moindre poids économique de l’Europe ne l’empêchera pas d’être une région riche et prospère, ainsi qu’un pôle de rayonnement pour le reste du monde.
Mais peut-être que les Européens seraient plus heureux s’ils produisaient plus et plus vite, au rythme des Etats-Unis, par exemple. Un nombre croissant de travaux sur la liaison entre le bien-être et le niveau du PIB montrent que la réponse à cette question est bien incertaine, du moins à un certain échelon de richesse collective. C’est tout l’intérêt des indicateurs alternatifs ou complémentaires du PIB auxquels une chronique précédente était consacrée. En outre, aussi l’objet d’une chronique passée, la croissance du PIB, du fait de son impact sur l’environnement et le climat, ne peut plus être un objectif par lui-même. La nature de la croissance, son contenu, a de l’importance et doit venir qualifier la poursuite de la seule progression de la production.
Pour toutes ces raisons, confondre prospérité économique d’une région avec son poids économique mondial et son taux de croissance est non seulement erroné mais maintient aussi la croyance quasi religieuse que la croissance doit être l’objectif ultime alors que l’on doit au contraire se défaire de cette croyance si on veut aller vers des économies plus équilibrées et plus durables.
Ce qui ne signifie pas que toute croissance de l’activité est à bannir, loin de là. Mais elle devrait plutôt être vue comme une conséquence et non comme un objectif, par exemple conséquence de la création d’emplois de qualité, conséquence de la mise en œuvre d’innovations qui entrainent plus de productivité ou la production de biens moins énergivores et moins polluants, conséquence d’investissements massifs pour contrer le changement climatique, conséquence du développement du secteur du recyclage. La croissance ne peut plus être considérée comme toujours bienfaitrice ou même comme neutre, il y a une croissance utile à une société meilleure, et une croissance qui nous en écarte.
Pour revenir à l’Europe est-ce à dire qu’elle représente le meilleur des mondes ? Evidemment non. Comme le souligne l’article du "Monde", le chômage reste un problème épineux dans quelques pays européens, les investissements en R&D sont insuffisants et la productivité est trop faible. Les Etats européens et l’Union Européenne ont de grands défis devant eux pour encore améliorer leur modèle économique. Et ce ne sera pas facile, compte tenu de la méfiance des populations et des Etats-Membres à l’égard des Institutions européennes, la lourdeur de celles-ci et, d’un autre côté, de la difficulté de ces mêmes Etats-Membres à se coordonner et parler d’une seule voix. C’est moins l’économie que la gouvernance politique qui est fragile en Europe, c’est elle qui pourrait menacer la construction tout entière. Et ce ne sont pas quelques points de pourcentage de PIB qui apporteront les solutions.
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