> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v De l’usage des objectifs macroéconomiques
2021-01 - Namur, le 11 janvier 2021. > [pdf]
Photo dreamstime - Cristian Manea
Plus d’un économiste éprouvent un certain malaise quand les gouvernements se fixent des objectifs macro-économiques, tel un taux de croissance du PIB, un taux d’emploi, un taux de chômage, un taux d’exportations ou d’industrialisation. De telles déclarations donnent l’impression que les autorités publiques ont un contrôle suffisant des manettes économiques pour être capables, si elles prennent les mesures nécessaires, d’atteindre ces objectifs.
C’est évidemment loin de la réalité. Dans une économie de marché, créer de l’activité, la développer, exporter, créer ou supprimer des emplois, travailler ou pas relèvent de la liberté individuelle, sur laquelle les autorités publiques n’ont qu’une prise modérée. En outre, les environnements économique, social et culturel sont façonnés par une histoire collective qu’il n’est pas aisé de réorienter par des politiques nouvelles.
Les autorités peuvent prendre des mesures, instaurer des programmes que l’on sait susceptibles de favoriser la croissance d’activité, la création d’emplois ou la réduction du chômage, mais personne ne peut assurer que le résultat final sera positif, tant il y a des facteurs contraires - historiques, structurels, conjoncturels, chocs externes - qui peuvent contrebalancer ces effets positifs.
C’est donc en quelque sorte duper les citoyens que d’affirmer la possibilité d’atteindre des objectifs macroéconomiques trop précis, sans compter que ces derniers sont souvent irréalistes.
C’est un peu le cas de l’objectif d’un taux d’emploi (1) à 80% que le gouvernement fédéral s’est fixé pour la Belgique à l’horizon 2030, et qui a été rappelé par la fédération sectorielle Agoria quand elle a calculé le nombre d’emplois pour atteindre cet objectif (2).
Pourquoi 80% ? Pas sûr qu’il y ait une réponse précise, on parle de la nécessité de plus d’emplois pour assurer le financement des dépenses publiques, et notamment de celles de la sécurité sociale, mais sans détail sur la corrélation précise entre le taux d’emploi et ces fameux financements. 80% est aussi le taux des pays européens les plus "performants" en matière d’emploi. Mais est-ce réaliste et utile de calquer ses objectifs sur les "meilleurs" ?
L’objectif de 80% pour la Belgique est d’autant plus problématique si on considère les disparités régionales. Le taux d’emploi pour la Belgique était de 70,2% au troisième trimestre de 2020. Mais les écarts entre les trois régions sont abyssaux. Le taux d’emploi de la Flandre est de 74,8%. Pour cette région, la montée vers 80% sera rude mais envisageable. Mais que dire pour les deux autres régions du pays ? Le taux d’emploi de la Région bruxelloise est de 60%, et celui de la Région wallonne de 65,6%. Autant dire que relever son taux d’emploi de respectivement 20 et 14 points de pourcentage en 10 ans relèverait d’un miracle économique, que l’on ne peut évidemment que souhaiter.
C’est toute l’ambiguïté des indicateurs nationaux (ne parlons pas des indicateurs continentaux) qui reflètent souvent très mal la situation réelle du pays ou du continent. Que dit, pour un pays comme la Belgique, un taux moyen d’emploi de 70,4% ? Il ne reflète aucune des réalités des 3 régions. Et donc il n’est pas en mesure de guider les politiques économiques et de l’emploi qu’il faut mettre en œuvre dans ces différentes régions. En Flandre, il faut surtout inciter des personnes qui ne travaillent pas à rentrer sur le marché du travail, à Bruxelles et en Wallonie, la priorité est de diminuer le chômage. Nous reviendrons sur cette question des indicateurs nationaux/régionaux dans une prochaine chronique.
Il est donc plus prudent et plus honnête de s’abstenir de fixer des objectifs macroéconomiques chiffrés, ce qui n’empêche pas l’expression d’une volonté ferme d’aller dans un sens ou un autre et de prendre les mesures en conséquence.
Mais éviter les objectifs macroéconomiques trop précis n’empêche pas d’avoir des points de repère. On sait qu’il est préférable pour l’équilibre d’une économie que l’inflation se maintienne dans une fourchette de 1,5% à 3,5%. De même, il ne faut pas espérer descendre beaucoup plus bas que 3,5%-5% en taux de chômage, qui n’est plus à ce stade que "frictionnel". Et pour le taux d’emploi, il est raisonnable d’estimer que, dans l’intervalle de 75%-80%, tous ceux et celles qui veulent travailler ont trouvé un emploi.
Plutôt que d’objectifs macroéconomiques, les politiques économiques (y compris de l’emploi) doivent abondamment se doter d’indicateurs de résultats et d’impact. Par exemple, combien de bénéficiaires ont trouvé de l’emploi au terme d’une formation, quel est le taux de succès des politiques d’accompagnement des chômeurs, combien d’emplois et de valeur ajoutée ont créé les jeunes entreprises logées dans les incubateurs ou celles dans lesquelles les sociétés publiques d’investissement ont investi, de combien ont augmenté les exportations des entreprises qui ont bénéficié d’un soutien à l’exportation, quels résultats se sont concrétisés grâce aux aides à la recherche (3) ? Chaque mesure ou programme devrait avoir ses indicateurs de résultats et/ou d’impact.
En ce début d’année, faisons le vœu que le futur plan de relance "Get up Wallonia" ne s’encombre pas d’objectifs macroéconomiques trompeurs mais fourmille d’indicateurs de résultats et d’impact, tout en préparant la possibilité d’évaluations plus approfondies.
___________
(1) Le taux d’emploi et le rapport entre le total des emplois et la population agée de 20 à 64 ans, c’est-à-dire la population “en âge de travailler”.
(2) https://www.agoria.be/fr/Agoria-600-000-emplois-supplementaires-si-8-personnes-sur-10-travaillent
(3) Pour toutes ces évaluations, il ne s’agit évidemment pas de se limiter à un simple comptage. Il faut utiliser des méthodes statistiques, tels que l’échantillonnage, les groupes témoins, les doubles différences, etc. pour écarter les biais de toute sorte.
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