> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Start-up, productivité, bien-être
2021-23 - Namur, le 21 juin 2021. > [pdf]
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Le mot "productivité" n’a habituellement pas bonne presse. La productivité est souvent vue comme l’obsession du patronat, prêt à augmenter les cadences ou remplacer des salarié-e-s par des machines pour augmenter ses profits. Ce sont des réalités que l’on ne peut pas nier, mais, comme souvent, on parle des trains qui arrivent en retard mais jamais de ceux qui arrivent à l’heure. Les machines servent aussi à assurer une compétitivité qui permet d’augmenter l’emploi plutôt que de le détruire.
Les avantages et inconvénients micro-économiques de l’accroissement de la productivité ne sont cependant pas l’objet de cette chronique. Restons au niveau macroéconomique où les gains de productivité sont déterminants pour le niveau et la qualité de vie des salariés et de l’ensemble de la société.
Quand on parle de productivité, on vise bien souvent la productivité du travail, c’est-à-dire, si on prend la définition la plus courante, la production accomplie en une heure de travail. On gagne donc en productivité quand il faut moins de temps pour produire une même quantité, ou quand on produit une plus grande quantité dans une même unité de temps (une heure de travail), les deux faces d’une même pièce. Et donc, on a le choix : soit on transforme les gains de productivité en plus de revenus (salaires, profits), soit on décide de travailler moins pour les mêmes revenus.
Voilà posé l’enjeu des gains de productivité : ils servent à augmenter le niveau de vie (mais celui de qui, des salariés, des détenteurs du capital, des autres membres de la société ?), ou à améliorer la qualité de vie en réduisant le temps de travail et en augmentant les temps de loisir.
Les gains de productivité sont donc une des principales sources de l’amélioration du bien-être de la population. Au niveau macroéconomique, augmenter la productivité est un objectif recherché, même si au niveau micro, tout le monde n’en bénéficie pas de la même manière.
Le graphique suivant reprend les gains de productivité sur une longue période, pour certaines régions du monde et la Belgique.
Tendance de la croissance de la productivité horaire du travail
Les tableaux figurent en taille réelle dans le fichier <pdf>
référencé sous le titre de la chronique
Il est extrait du rapport annuel 2019 du Conseil national de la productivité (1), mis en place en Belgique sur la recommandation du Conseil européen, ce qui témoigne, s’il le fallait encore, des enjeux importants associés à l’évolution de la productivité.
Ce graphique montre très clairement que les gains de productivité ont constamment ralenti depuis 1970, partant cependant d’un niveau très élevé, puisqu’en 1970 la productivité avait augmenté de près de 4,5%. Si on avait pu remonter avant 1975, on aurait constaté une toute autre tendance. Les pays industrialisés avaient en effet enregistré de très fortes hausses de productivité depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, expliquant la progression des niveaux de vie et du bien-être pendant ces 25 années. Par exemple, en France, la productivité du travail a triplé entre 1949 et 1974 (2).
La situation actuelle est tout autre. Les gains de productivité du travail sont tombés à 1% en 2005, pour descendre encore à 0,5% en 2010 et se stabiliser à ce niveau par la suite. Concrètement, ces faibles gains de productivité signifient le tarissement d’une des sources principales de l’augmentation générale du niveau de vie. La lutte est sévère pour se partager ces maigres gains de productivité, ce que l’un prend, l’autre ne l’aura pas. Ces faibles gains de productivité expliquent, pour une grand part, le sentiment actuel de stagnation sociale et d’appauvrissement, ce malaise devant un avenir porteur d’aucune amélioration et, en fin de compte, les tensions sociales qui en découlent.
On s’en doute : une littérature très abondante a tenté de comprendre ce ralentissement tendanciel des gains de productivité, aboutissant à un faisceau d’explications qui ne parviennent cependant pas à rendre clairement compte du phénomène.
Parmi toutes ces explications, on trouve celle, récente, de la baisse du dynamisme entrepreneurial dans les pays de l’OCDE. Le schéma théorique causal est simple : les nouvelles entreprises, plus dynamiques, plus innovantes, plus compétitives, plus productives, bousculent les marchés dans lesquelles elles entrent, prennent des parts de marché aux entreprises existantes, parfois ronronnantes, et même poussent les moins performantes hors du marché, entraînant une triple poussée de la productivité, par leur présence d’abord, par la pression de productivité qu’elles exercent sur les entreprises déjà présentes sur le marché, mais aussi par la disparition des entreprises moins productives qui n’ont pu s’adapter, dont les entreprises les plus productives reprennent les parts de marché, augmentant la productivité globale du secteur.
C’est cette très intéressante hypothèse qu’un chercheur du Bureau Fédéral du Plan (BFP), Michel Dumont, a voulu tester sur le tissu économique belge. Cette étude a fait l’objet d’un working-paper disponible sur le site du BFP (3), mais dont nous ne pouvons rendre toute la profondeur et l’étendue d’analyse dans cette chronique.
La conclusion la plus probante de cette étude est que les start-up (entre 1 et 4 ans d’existence) fournissent une contribution substantielle à la croissance de la productivité des branches d’activité dans lesquelles elles apparaissent. L’auteur suggère donc que "les faibles entrées [des entreprises sur les marché], en particulier des entrepreneurs ciblant la croissance, justifient de mener des politiques qui soutiennent cet entrepreneuriat durant les phases de démarrage et d’expansion de l’activité" tout en reconnaissant que ce "faible dynamisme entrepreneurial en Belgique […] n’est pas une explication univoque du déclin structurel de la croissance de la productivité des branches d’activité."
Michel Dumont note aussi que "le faible taux de sortie en Belgique peut indiquer l’existence d’obstacles à la sortie d’entreprises peu productives qui pourraient limiter les opportunités pour les jeunes pousses" plus productives. Autrement dit, il est sain de laisser mourir les entreprises qui perdent pied. Voilà qui devrait faire réfléchir les autorités wallonnes qui s’efforcent, à travers différents mécanismes, de sauver des entreprises en difficultés. Les emplois et les activités que l’on pense sauver peuvent en fait freiner le renouvellement du tissu productif et donc la création d’activités et d’emplois plus productifs.
Cette étude, et le lien qu’elle établit entre start-up et productivité, et donc avec le bien-être, renforce encore l’importance qu’il faut apporter aux politiques entrepreneuriales dont on peut regretter qu’elles ne soient pas encore suffisamment présentes dans le plan de relance de la Wallonie (4).
____________________
(1) https://cnp-nrp.belgium.be/publications/publication_det.php?lang=fr&KeyPub=456
(2) https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1974_num_62_1_1695
(4) Cfr. ma chronique sur ce plan: http://www.institut-destree.eu/2021-05-31_chronique-economique_didier-paquot.html
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