> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Les métiers en pénurie, le révélateur d’un dialogue social en panne
2021-28 - Namur, le 6 septembre 2021. > [pdf]
La forte reprise suite au recul de la pandémie et des changements de comportement ou de secteurs chez les travailleurs avivent les tensions sur le marché du travail, déjà structurellement présentes, comme, par exemple, dans la construction, les services de santé et hospitaliers, l’horeca, et même pour certaines fonctions dans le secteur industriel.
Un indicateur qui est souvent mis en avant pour illustrer ces tensions et – disons-le – juger négativement la qualité des services des organismes actifs sur le marché du travail, est le nombre de métiers en pénurie, à savoir les fonctions qui peinent à être pourvues.
L’agence wallonne pour l’emploi, le FOREM, publie chaque année une étude très intéressante sur le sujet, où est établie la liste de fonctions en pénurie d’emplois, complétée par une analyse très fouillée pour chacune d’entre elles.
Selon l’édition de 2021 (1), la Wallonie compte 126 fonctions en pénurie de main d’œuvre, liste établie à partir d’un taux de satisfaction des offres d’emploi (postes non pourvus) ou suite à l’avis d’experts. Est-ce peu, est-ce beaucoup? Toute économie aura toujours des métiers en pénurie, c’est dans l’essence même de l’économie de marché, mais à partir de quel nombre faut-il s’en préoccuper ? Bien difficile d’établir des indices de référence, parce que chaque pays a sa propre nomenclature, les comparaisons sont donc difficiles. Un autre signe d’alerte pourrait être le nombre de postes non pourvus dans ces fonctions mais il n’est pas précisé dans l’étude.
D’autres caractéristiques des métiers en pénurie sont néanmoins très intéressantes pour apprécier l’efficacité du marché du travail wallon. Intuitivement, on penserait qu’un métier est en pénurie parce que trop peu de personnes sont intéressées par ces fonctions et donc qu’il n’y a pas assez de postulants à ces postes. C’est vrai pour 76 des 126 fonctions en pénurie, c’est à-dire 60%. Mais pour 40% d’entre elles, il y a assez de demandeurs d’emplois qui sont prêts à travailler dans ces domaines. Et pourtant les postes ne sont pas pourvus. C’est interpellant. Pourquoi, diable, des hommes et des femmes qui veulent travailler dans un domaine où il y a des emplois restent-ils au chômage ?
Deux grandes familles de causes expliquent, selon l’étude du FOREM, les difficultés de recrutement dans les métiers en pénurie. Du côté des employeurs : le profil des candidats (diplôme, expérience, langues, mobilité…). Du côté des demandeurs d’emploi : les conditions de travail (type de contrat, régime de travail, salaire, horaire, déplacement, charge physique ou mentale…). Ces deux grandes familles sont très larges, l’étude les caractérise finement pour chaque métier en pénurie, mais peut-être qu’une plus grande décomposition de ces causes dans le tableau de synthèse aurait été éclairante.
Et quand on regarde de près la distribution des deux grands facteurs explicatifs – le profil des candidats et les conditions de travail - ils se cumulent pour, là aussi, 60% des fonctions. Donc, pour ces métiers, les personnes qui se présentent n’ont pas les qualifications, et même si elles les ont, nombre d’entre elles ne vont pas les accepter pour des raisons de conditions de travail. Comment sortir d’une situation où former les demandeurs d’emplois ne suffira pas à concrétiser leur engagement parce qu’il y a un risque non négligeable que, même qualifiés, ils refusent l’emploi ?
On touche là une question de société très sensible. Les employeurs vont dire : qu’on oblige les demandeurs d’emplois à prendre les emplois qu’on leur offre. Les syndicats vont répliquer : que les employeurs améliorent les conditions de travail et les emplois seront pourvus.
Cette double cause qui explique que certaines fonctions ne sont pas pourvues donne lieu aussi à un jeu de ping-pong entre les employeurs et le FOREM, les premiers reprochant au second de former mal et insuffisamment les demandeurs d’emploi (se pose aussi la question de l’obligation de se former), tandis que le FOREM avance que la formation n’est pas toujours en cause mais bien l’attractivité des postes.
Ces questions sont exacerbées quand on regarde le niveau de qualifications des fonctions. On peut comprendre que des métiers qui nécessitent une compétence pointue soient plus difficiles à pourvoir. Mais dans la liste wallonne, on retrouve des services aux personnes et à la collectivité, des services hôteliers, des métiers de distribution et de la vente, ou des métiers du transport et de la logistique, toutes fonctions qui ne demandent pas ou peu de qualifications. Ici encore, chacun va se rejeter la balle, qui ne parvient pas à donner les formations les plus basiques, qui propose des conditions dégradantes.
C’est donc un manque de dialogue constructif et confiant entre les intervenants sur le marché du travail qui complique grandement les efforts pour réduire le nombre et l’intensité des fonctions en pénurie de main d’œuvre. Si la confiance entre les différents partenaires était restaurée, le FOREM et les autres organismes impliqués dans le marché du travail pourraient recueillir les observations constructives des employeurs sur le dispositif wallon de formation et d’insertion, de même que les employeurs pourraient entendre les efforts qu’ils ont à faire pour donner à leurs offres d’emploi des conditions motivantes. Quant aux interlocuteurs sociaux, ils pourraient s’entendre sur les critères qui doivent être satisfaits pour qu’un demandeur d’emploi soit tenu d’accepter un emploi, sous peine de se voir retirer les droits aux allocations de chômage (2).
Un meilleur dialogue social entre syndicats et employeurs en Wallonie ? Il n’y a pas que dans le défi de réduire le nombre de métiers en pénurie qu’il ferait du bien à la société wallonne.
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(2) Des critères d’un emploi convenable existent dans la loi, de même que l’obligation de l’accepter. Mais son application est très floue, et fortement laissée à l’appréciation des agences régionales de l’emploi (FOREM, VDAB, Actiris).
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