> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Les métiers en pénurie (2), l’arbre qui cache la forêt
2021-30 - Namur, le 20 septembre 2021. > [pdf]
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Quelle activité médiatique autour des métiers en pénurie. Articles de presse, débats télévisés, interviews, polémiques, tout le petit monde social, économique et politique wallon s’est enflammé sur le sujet.
Rappelons la problématique. L’agence wallonne pour l’emploi, le FOREM, dénombre 126 métiers en pénurie, à savoir des métiers où les offres d’emploi ne sont pas ou très tardivement pourvues, alors que 200.000 personnes sont inscrites au chômage. Du côté du monde patronal, qui dénonce cet état comme un grand frein au dynamisme des entreprises, on blâme le manque de formation, qualitative et quantitative, et le manque de pression exercée sur les chômeurs pour s’engager dans les formations ou accepter un emploi. Du côté syndical, on reproche aux entreprises d’offrir des emplois peu attrayants, mal rémunérés dans des conditions de travail difficiles. Le FOREM dit faire de son mieux avec les moyens qu’on lui donne, et aussi qu’il est vain de forcer des chômeurs à suivre des formations qu’ils ne souhaitent pas.
Il n’est pas inutile, pour un débat plus serein, de redonner à ce problème des métiers en pénurie sa juste dimension, tout en insistant sur son caractère hautement symptomatique de l’inefficacité du marché du travail en Wallonie. Mais le débat semble suggérer que réduire les pénuries de main d’œuvre résoudrait, pour une bonne part, le sous-emploi en Wallonie, or c’est loin d’être le cas.
De combien d’emplois non pourvus sur ces métiers en pénurie parlons-nous ? Pour notre part, nous n’avons trouvé aucune statistique solide. Comme approximation, on peut s’appuyer sur l’enquête trimestrielle sur les forces de travail, menée par Statbel. Selon cette enquête, au premier trimestre 2021, le taux d’emplois vacants est de 3% avec un taux de chômage de 9,2%. Encore un signe des dysfonctionnements du marché du travail wallon.
En chiffres absolus, cependant, le nombre d’emplois vacants est de 34.000. Supposons que l’on parvienne à réduire de 2/3 ce nombre – il y aura toujours des emplois vacants dans une économie de marché - on créerait 20.000 emplois. Sans doute, est-ce une fourchette basse des emplois non pourvus ou difficilement pourvus, mais aucune étude ne permet de mieux chiffrer cette catégorie d’emplois.
Tournons-nous maintenant vers les chiffres globaux du marché du travail wallon, que l’on retrouvera au tableau ci-dessous.
Le tableau figure en taille réelle dans le fichier <pdf>
référencé sous le titre de la chronique
Que constate-t-on ? Que le taux d’emploi en Wallonie est tragiquement faible, 63% pour une moyenne européenne de 72% et un taux d’emploi en Flandre de 74%.
Combien d’emplois faudrait-il créer pour atteindre le taux moyen européen ? Pas moins de 191.000 nouveaux postes. Les 20.000 postes créés par la réduction des emplois vacants ne font clairement pas le poids. Et pour atteindre l’objectif d’un taux d’emploi de 80% fixé par le gouvernement fédéral, il faudrait créer… 359.800 emplois. C’est donc une tout autre dynamique que celle limitée à réduire les emplois vacants actuels qui doit être mise en œuvre si on veut augmenter significativement le taux d’emploi wallon.
Pourvoir les offres d’emplois actuels ne suffira pas, le rythme de création d’emplois doit être beaucoup plus élevé, ce qui implique plus de créations d’entreprises, et un plus rapide développement de celles qui existent. Ce volet est trop souvent négligé dans le débat sur le relèvement du taux d’emploi.
Une question reste alors plus aigüe que jamais ? Comment pourvoir ces emplois potentiels si on ne parvient déjà pas à pourvoir les offres existantes ? Le débat ne peut se limiter à une amélioration de la formation ou à l’obligation pour les chômeurs d’accepter un emploi. Encore quelques chiffres : selon l’enquête des forces de travail, il y a, en Wallonie, 135.000 chômeurs (au sens économique du terme, c’est-à-dire des personnes inactives qui peuvent et souhaitent travailler (1)). Si on réduit le taux de chômage à 4%, ce qui serait tout à fait exceptionnel, cela ferait une remise au travail de 78.000 personnes. Pour arriver à un taux d’emploi de 72% (moyenne européenne), il faudrait ramener sur le marché du travail113.000 personnes supplémentaires, à l’heure actuelle considérées comme "inactives", c’est-à-dire ne souhaitant pas travailler ou, pour une raison ou une autre, ne cherchant pas à travailler. Inciter ces personnes à chercher du travail nécessite une politique bien plus vaste que celle de la formation ou de la menace d’exclusion, des mesures autrement ambitieuses, autrement incitatives, autrement inclusives.
Voilà le double défi du marché du travail wallon : créer un environnement entrepreneurial qui donne l’envie de créer des entreprises et de les faire grandir, et, en même temps, assurer que les emplois créés soient pourvus. Que l’enseignement technique et professionnel (dont l’enseignement en alternance) soit à la hauteur des ambitions de nos entrepreneurs, que les formations professionnelles coïncident au mieux avec les besoins des entreprises sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. La réduction des fameux pièges à l’emploi (incitations financières à travailler trop faibles, mobilité difficile, nombre insuffisant de crèches etc.) doit être une priorité, de même que l’accompagnement vers le travail par le FOREM et ses satellites, demande une amélioration substantielle, et on espère que le nouveau décret sur le sujet l’apportera.
Les entreprises ont aussi un rôle à jouer. Les relations au travail ne sont plus celles d’il y a 20 ou 40 ans, les environnements et les conditions de travail doivent s’adapter à l’évolution des aspirations et des modes de vie.
Le gouvernement fédéral porte attention au relèvement du taux d’emploi du pays, comme en témoigne la dernière conférence pour l’emploi, organisée par le Ministre Dermagne. Mais là aussi, l’angle a été réduit, se limitant à la problématique des fins de carrière. En raison des compétences réparties entre le niveau régional et le niveau fédéral, aucune politique ne sera vraiment efficace si elle n’est pas concertée entre les différents niveaux de pouvoir et si elle n’englobe pas les différentes composantes de cet enjeu. Voilà un sujet qui pourrait faire l’objet d’un accord de coopération, tout à fait décisif pour l’avenir du pays et de chacune des régions.
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(1) Ce chiffre diffère du nombre administratif du chômage (les chômeurs inscrits au FOREM), qui est d’environ 200.000. La différence tient aux personnes inscrites au FOREM mais qui ne cherchent pas du travail ou ne sont pas en position d’accepter un emploi, et aux personnes qui ne sont pas inscrites au FOREM mais qui cherchent un emploi.
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