> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v La dette publique wallonne, est-elle une menace ?
2021-34 - Namur, le 18 octobre 2021. > [pdf]
Le 8 octobre dernier, le gouvernement wallon a présenté les grandes lignes de son budget 2022. Le déficit public prévu pour l’exercice est impressionnant : plus de 4 milliards de solde à financer, soit 27% des recettes. Et ce dans un contexte d’explosion de la dette publique, qui a crû d’environ 60% en 2 ans, de 12,6 milliards € en 2019 à probablement (les chiffres ne sont pas encore officiels) 20-21 milliards € à la fin de 2021. Ces trajectoires de dépenses et de dette publiques sont-elles soutenables ?
On comprend que les dépenses publiques, et donc la dette publique, aient été fortement gonflées par les dépenses conséquentes à la pandémie et aux inondations de juillet. Encore en 2022, les dépenses COVID vont se monter à 363 millions d’euros (y compris les pertes de recettes), et celles des inondations à 735 millions €. Voilà 1 milliard € de dépenses incontournables. Le plan de relance entraînerait 1,740 milliards € de dépenses. Très bien, c’est pour construire l’avenir de la Wallonie. Nous sommes à 2,740 milliards €. Reste donc un déficit très important de 1,260 milliards €. Est-ce une saine gestion que de dépenser 8% (hors dépenses "exceptionnelles") de plus que ce que les recettes permettent alors que la dette publique a tant augmenté sur les deux dernières années ?
Concernant cette dette, le chiffre de 21 milliards est-il préoccupant ? Deux repères importants donnent une bonne évaluation d’un niveau soutenable de dette publique : la charge d’intérêts de la dette dans le total des dépenses et la notation donnée par les agences de notation, en l’occurrence pour la Wallonie l’agence Moody’s, qui reflète la capacité d’une entité publique à financer son déficit sur les marchés.
Le ratio charges d’intérêts / dépenses publiques doit rester sous contrôle. D’abord parce que ce qui est payé en intérêts ne peut servir aux politiques publiques et peut donc restreindre fortement le niveau de vie de la population. L’augmentation de ce ratio est aussi un signal d’alarme pour les marchés sur la capacité d’un Etat à rembourser les intérêts de sa dette. Pour ce qui concerne la Wallonie, ce ratio est tout à fait acceptable, les charges d’intérêt sur la dette régionale représentent 345 millions €, soit 2% des dépenses publiques. Et ce ratio, en dépit de l’augmentation de la dette, reste stable grâce aux taux d’intérêt extrêmement bas, voire nuls.
Quant à la notation des finances publiques wallonnes, Moody’s, une agence de référence sur les marchés financiers, lui attribue le niveau A2 (1), ce qui reste un bonne notation. Elle assure la confiance des marchés financiers. Néanmoins, la perspective de cette notation est passée de stable à négative, faisant courir le risque que, si la situation des finances publiques se détériore encore, la notation pourrait être abaissée, rendant moins aisé le financement à des taux d’intérêt faibles.
En résumé, en dépit de la forte augmentation de la dette publique, la situation n’est pas alarmante. Les charges d’intérêt ne menacent pas les politiques publiques et les marchés considèrent toujours la Wallonie comme un emprunteur de confiance.
Cependant la révision des perspectives de Moody’s à "négatives" ainsi que l’amorce (encore très légère) de la hausse des taux d’intérêt de long terme sont des avertissements sérieux pour le Gouvernement wallon : il est temps de revenir à des déficits publics plus faibles, voire même envisager, à terme, des surplus pour diminuer la dette.
Le déficit prévu pour 2022, comme on l’a vu, ne va pas du tout dans cette direction. La mauvaise habitude d’une gestion laxiste des dépenses publiques, entrainant l’augmentation de la dette, est bien ancrée dans la politique budgétaire wallonne depuis quelques années. Pour preuve, alors qu’elle s’était à peu près stabilisée, la dette publique wallonne est passée de 7,9 milliards € en 2015 à 12,6 milliards € en 2019, soit une augmentation de près de 60% en 4 ans. Or, ces années-là ont été des années de relative bonne conjoncture, période propice à réduire les déficits et reprendre le contrôle des dépenses. Ce ne fut pas le cas en Wallonie. Les dépenses publiques, durant cette période, ont augmenté de 12,7% alors que les recettes n’ont augmenté que de 8%. Ce laxisme n’a pas échappé à l’agence Moody’s qui a dégradé la Wallonie en 2017 de A1 à A2. Cette dégradation, survenue en dehors d’une situation de crise et dans un contexte économique plutôt favorable, est extrêmement regrettable.
Et voilà ce qui inquiète dans le budget 2022 : la continuation de l’absence de maîtrise des dépenses publiques, (à l’exclusion des dépenses exceptionnelles). La "Commission externe de la dette et des finances", réunion d’économistes académiques chargés de conseiller le ministre du budget, semble en avoir pris conscience puisqu’elle recommande une réduction de 150 millions € des dépenses chaque année. Mais sera-ce suffisant pour briser l’inclinaison dépensière du Gouvernement wallon et pour maintenir l’augmentation de la dette dans des limites acceptables par les marchés financiers ? Nous aurions été plus rassuré par une trajectoire dont l’objectif aurait été d’équilibrer dépenses et recettes publiques à un horizon défini.
Le gouvernement wallon, depuis 2015, dépense trop, beaucoup trop, au regard de ses ressources financières. Cet état de fait ne peut plus durer, sauf à prendre le risque de devoir, à terme, se financer ou se refinancer à des taux d’intérêt prohibitifs et de voir les charges financières manger de plus en plus de moyens au détriment des politiques publiques. Il faut revenir à un niveau de dépenses publiques soutenable. A cet égard, le budget 2022 est une occasion manquée.
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(1) L’échelle de notation est la suivante: Aaa, Aa, A, Baa, Ba, B, Caa, Ca, C. Pour chacune des échelles, il y a trois niveaux: 1,2,3. La meilleure notation est donc Aaa1 et la plus mauvaise C3. La Belgique a la notation Aa3. A partir de Baa, les obligations ont déjà un caractère “spéculatif”.
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