Ex-négociateur de l’Union Européenne pour le Brexit, Michel BARNIER vient de nous faire entrevoir une "table autour de laquelle va s’organiser l’ordre ou le désordre du monde dans les 30 ans qui viennent"(1). Craignant que son pays n’y soit pas assis, il déclare n’avoir "pas envie que la France soit spectatrice des décisions prises par les autres" (1).
N’étant pas candidat aux élections présidentielles outre-Quiévrain, Hubert VÉDRINE adoptait un mois plus tôt une formulation plus réaliste: "La priorité c’est que les Européens deviennent des acteurs qui pèsent dans le monde" (2).
Comme beaucoup d’autres, ces deux déclarations débouchent inévitablement sur l’enjeu fondamental d’une gouvernance mondiale, avec en corollaire la question cruciale de son caractère démocratique. Même si sa concrétisation relève du casse-tête, l’aspiration à une véritable gouvernance mondiale paraît moins ardue à réaliser en raison:
- d’une part, de l’organisation institutionnelle de plusieurs composantes importantes qui, certes avec des modalités et selon des intensités différentes, relève du fédéralisme et prédispose à une gouvernance multi-niveaux (Union Européenne, États-Unis, Inde, Russie, Brésil, Canada, Mexique, Afrique du Sud, ...);
- d’autre part, de l’intégration d’États dans des organisations régionales, comme l’Union Africaine, la Ligue Arabe, l’ASEAN, l’Organisation des États Américains ou le Forum des Îles du Pacifique.
Une telle fédération mondiale devrait se doter d’un fonctionnement efficace et rapide, différent du multilatéralisme classique, lourd et lent des Nations-Unies, tout en pouvant les inspirer et les alimenter en dossiers à approfondir. Mais il sera important, en ne dépassant pas la trentaine d’États participants (3), de renforcer un état d’esprit et une culture mondialiste, valorisant tant la diversité que l’attachement à un meilleur devenir de la planète (transition écologique, développement durable, valeurs éthiques, respect des intégrités territoriales,...), ce par des décisions normatives.
L’actualité indique bien l’urgence de réfléchir à cette thématique de la gouvernance mondiale et de commencer à la concrétiser:
v le combat pour la justice climatique s’est vu donner une dimension mondiale, suite notamment à l’action des jeunes. Les mesures à prendre ne peuvent connaître d’exceptions territoriale ou nationale;
v on assiste à une multiplication d’exemples de primauté de la puissance sur le droit, comme la violation du principe "un pays, deux systèmes" à Hong Kong, la constitution de zones d’influence ou d’occupation illégales par la Russie (Donbass, Crimée,...), les agressions de la Biélorussie contre ses opposants démocratiques et la Lituanie,...;
v pour en revenir à la France, la sécurité juridique d’un accord de livraison de 12 sous-marins pour 55 Mds € à l’Australie a été unilatéralement brisée par cette dernière au profit d’une offre américaine incorporant de la technologie britannique. Le trio «Aukus» (Australie - UK - USA) a ainsi été constitué comme pacte de défense dans l’Indo-Pacifique. La présidente de la Commission UE, Ursula von der Leyen n’a pu que manifester son agacement et reporter d’un mois les contacts bilatéraux prévus pour les négociations commerciales avec l’Australie: "L’un de nos États membres à été traité d’une manière pas acceptable. Il faut clarifier cela avant de reprendre les affaires comme avant" (4).
Il ne faut pas arrêter de rêver, le monde mérite du respect mutuel et une gestion coordonnée, en servant les citoyens en tant que fédération des fédérations et des organisations. Et il faut rester vigilant en gardant le lien avec les préoccupations des citoyens et en facilitant leur expression, particulièrement dans les pays en développement. Tout comme il convient d’éviter le piège incantatoire et dès lors veiller à l’efficacité de mise en œuvre des décisions.
On voit que les choses commencent à bouger un petit peu. Qui aurait cru voici 10 ans qu’un accord international soit approuvé dans le cadre de l’OCDE sur une nouvelle répartition de la taxation des bénéfices par l’impôt des sociétés et la fixation à 15 % d’un taux minimum d’impôt: un texte dont la presse dit qu’il rendra vide de sens la recherche de paradis fiscaux et amènera les multinationales à payer quelque 100 Mds € en plus comme impôt des sociétés (5). Il y a donc des évolutions intéressantes.
Si l’on retourne au point de départ de ces quelques réflexions, il revient à l’Union Européenne d’impulser le mouvement vers une telle gouvernance mondiale: avancer, influencer, piloter et ne pas se faire oublier.
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(1) Barnier voit une France qui pèse sur les grands défis, La Libre Belgique, 18 octobre 2021, p. 20
(2) Hubert Védrine: "Les Européens ont un problème avec la puissance", L’Écho. 18 septembre 2021, p.24
(3) En termes démographiques, les 30 pays les plus peuplés du monde représentent une population d’un peu plus de 6 milliards. Le cinquième de la population non pris en compte ainsi peut être représenté par des organisations régionales.
(4) Le "deal" avec Canberra au frigo pour un mois, Le Soir, 2-3 octobre 2021.
(5) Akkoord over wereldwijde minimumbelasting, De Standaard, 9-10 octobre 2021, p. 42, "Daardoor heeft belastingsparadijzen opzoeken straks geen zin meer".
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