> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Réhabiliter la recherche de base en Wallonie
2021-35 - Namur, le 25 octobre 2021. > [pdf]
Dreamstime - Yurok
Quelle recherche scientifique les autorités publiques doivent-elles financer pour un impact maximal sur l’activité économique ? Intuitivement, on serait tenté de répondre la recherche appliquée, c’est-à-dire la recherche dont l’objectif est de mettre de nouveaux produits et services sur le marché, ou du moins d’améliorer les produits et services existants pour les rendre plus compétitifs.
C’est l’attitude adoptée par les autorités régionales wallonnes qui, depuis la régionalisation de la R&D, ont toujours voulu lier les subventions pour la recherche à un débouché de valorisation économique, lien parfois fort lâche, il est vrai, et peu souvent vérifié ex-post.
Déjà, les conclusions d’une thèse de doctorat, défendue par Nathan Charlier à l’Université de Liège en 2017 (1), donnent matière à réflexion sur le bien fondé de cette contrainte de valorisation économique imposée à la recherche. L’auteur compare les politiques scientifiques de la Flandre et de la Wallonie pour mettre en lumière des options fondamentalement différentes : "Les deux régimes régionaux s’appuient chacun sur un imaginaire sociotechnique particulier qui mobilise la recherche scientifique en vue d’atteindre un futur désirable. En Flandre, l’imaginaire sociotechnique vise à faire de cet espace une "top-région" performante et compétitive par rapport à d’autres, tandis que l’imaginaire sociotechnique wallon mobilise la recherche en vue d’un redéploiement industriel". Autrement dit, en schématisant, l’objectif de la politique scientifique flamande est l’excellence scientifique tandis que celui de la politique scientifique wallonne est la valorisation économique.
Nathan Charlier se garde bien de porter une appréciation tranchée sur l’une ou l’autre "stratégie scientifique". Mais cette prudence ne nous retiendra pas de poser certains constats. La Flandre, par un "cadrage de performance, de compétition et d’excellence [basé] sur des évaluations régulières qui comparent et classent entre elles les universités et qui sont déterminantes quant à leur financement public", a atteint son objectif d’excellence scientifique, comme en témoignent les classements internationaux de ses universités et le développement de centres de recherche de niveau européen et même mondial. Mais, en plus, tout ce développement scientifique a donné lieu à un développement économique important – création et croissance de nouvelles entreprises innovantes, attraction d’entreprises étrangères.
La stratégie wallonne ne peut afficher un tel succès. Le redéploiement industriel issu de la R&D est jusqu’à présent décevant, hormis dans le secteur des bio-tech, tandis que les universités francophones, bien que d’un très bon niveau, n’ont pas connu la progression de leurs homologues flamandes. Une des raisons peut être trouvée dans l’analyse de Nathan Charlier : "Le régime wallon est marqué par une faible cohérence entre différents niveaux d’action. On y constate des tensions entre demandes politiques d’impacts économiques et volonté des académiques de conserver de l’autonomie dans la définition de leurs agendas de recherche pour produire des connaissances reconnues par leurs pairs". Bref, les universitaires "détournent" quelque peu leurs projets de façade pour tout de même produire de la connaissance, au détriment de l’impact économique. Au bout du compte, personne n’y trouve son compte.
Financer la recherche scientifique plus en amont, pour son excellence, sans une orientation économique initiale et explicite, semble donc, sur base de l’expérience flamande, conduire à un double bénéfice, scientifique et économique.
Un article paru dans l’édition d’octobre 2021 du "World economic outlook" du FMI (2) (Fonds Monétaire International), insiste sur le rôle important de la recherche de base dans le développement économique. Il rappelle une évidence : "Les innovations, grandes et petites, ne surviennent pas du vide mais grandissent sur le stock de la connaissance scientifique de base". Or, "la croissance des moyens de recherche s’est progressivement concentrée sur la recherche appliquée, alors que l’innovation dépend de plus en plus des avancées scientifiques de base".
A partir de nouvelles données et d’une analyse basée sur un modèle, les auteurs concluent que "les économies avancées peuvent augmenter leur croissance de long terme, via l’accroissement de la productivité, en augmentant le financement de la recherche de base (privée et publique), tout en développant une plus grande connexion entre recherche publique et privée". Ils concluent aussi sur une dernière évidence : "les investissements dans la recherche de base ont aussi de grands bénéfices environnementaux, puisque les innovations technologiques plus propres reposent sur une recherche plus fondamentale et plus neuve".
En matière de financement de la recherche universitaire, les autorités wallonnes ont à peine modifié leur politique depuis 20 ans, privilégiant la recherche appliquée via des appels à projets thématiques nécessitant jadis le parrainage d’entreprises et maintenant un partenariat encore plus étroit avec ces dernières, ou via les projets de pôles de compétitivité, projets devant, eux aussi, démontrer une valorisation économique au bénéfice des entreprises partenaires.
A la lumière de la réhabilitation du rôle de la recherche de base, ne serait-il pas temps de donner un bon coup de balai dans les vieilles pratiques et de repenser le financement de la recherche universitaire en Wallonie, d’abord en lui laissant plus de liberté et ensuite en cessant de financer des projets ponctuels en faveur de programmes de recherche de plus long terme, qui assurent une plus grande stabilité des équipes scientifiques et sans doute des résultats de plus grande dimension et donc de plus grands impacts. Ces financements plus ambitieux s’accompagneraient aussi d’évaluations plus serrées à périodes régulières, passage obligé pour passer aux phases ultérieures des programmes subventionnés.
___________________
(1) N. CHARLIER, Gouverner la recherche entre excellence scientifique et pertinence sociétale, une comparaison des régimes flamand et wallon de politique scientifique, Université de Liège, 2017. https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/212015/3/th%c3%a8se%20de%20doctorat%20-%20Nathan%20Charlier.pdf
> Inscrivez-vous par mail à cette chronique économique :
economics [at] institut-destree.eu Bienvenue
> Partagez aussi cet article avec vos réseaux :
@InstitutDestree@InstitutDestreewww.linkedin.com/company/destree-institute/ Webmail de MAD-Skills.eu
(c) https://www.institut-destree.eu, en ligne depuis 1996,
ONG partenaire UNESCO et UN-ECOSOC depuis 2012
Propulsé par hébergé par wistee.fr