> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Où dépense-t-on trop d’argent public ?
2021-36 - Namur, le 8 novembre 2021. > [pdf]
Dans une récente chronique, nous concluions que le Gouvernement wallon dépensait trop. A lire l’article intéressant paru dans la revue économique de septembre de la Banque Nationale de Belgique : "Quelles dépenses publiques sont élevées en Belgique ? Une comparaison avec les pays voisins" (1), il semble que cela soit vrai pour l’ensemble des autorités publiques belges.
Les dépenses publiques belges (dépenses gouvernementales et transferts) représentent, en 2019 (2), 52,1% du PIB (3). Pour se fixer les idées, cela représente 249,1 milliards €. La moyenne des pays européens se monte à 47%, c’est-à-dire plus de 5 points de pourcentage que la Belgique. En d’autres termes, il faudrait que les dépenses publiques annuelles de la Belgique soient réduites de 24,4 milliards € pour revenir à la moyenne européenne. Il n’y a que la France et la Finlande dont les dépenses en termes de PIB sont plus hautes que celles de notre pays.
Les auteurs se sont donc posés la question : dans quelles catégories de dépenses publiques, la Belgique dépense-t-elle plus que les autres pays européens ? En raison de l’hétérogénéité de ces derniers, l’étude prend comme référence nos 3 pays voisins : la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. On notera qu’est donc inclus le pays le plus dépensier d’Europe, la France, ce qui va "adoucir" la comparaison et les conclusions. Peut-être aurait-il été intéressant de mener une comparaison avec les seuls Pays-Bas, pays de taille et d’économie similaires.
Toujours est-il que, même la France incluse, la Belgique dépense 4,5 points de pourcentage (pp) du PIB de plus que la moyenne des 3 pays. Sur base d’une classification des dépenses publiques développées par l’OCDE, il est possible de pointer les catégories de dépenses belges qui divergent fortement de celles de nos trois voisins.
Une catégorie de dépenses publiques représente, à elle-seule, 2,2 pp de PIB de dépenses supplémentaires par rapport à nos voisins : la catégorie "tutelle de l’économie" qui rassemble l’ensemble des politiques destinées à soutenir l’activité économique et le marché du travail. Plus spécifiquement encore, ce sont les subventions salariales destinées aux entreprises, comme les dispenses de cotisations sociales (principalement les réductions ciblées au niveau régional, les réductions sur le travail de nuit et les activités d’innovation au niveau fédéral), ainsi que le système des "titres services" au niveau régional. La répartition fédéral/régions du total de ces dépenses est 42% pour le fédéral et la sécurité sociale, 53% pour le niveau régional (Flandre 29%, Wallonie 18%, Bruxelles 6%), et 5% pour les autorités locales. Les auteurs soulignent que ces dépenses ne peuvent être considérées comme des bonnes pratiques et qu’il faudrait mieux réformer en profondeur la taxation du travail en Belgique plutôt que de procéder à des dispenses disparates de cotisations. D’ailleurs, les comparaisons montrent que le chômage est le plus bas aux Pays-Bas et en Allemagne qui ne pratiquent que très peu ce type de dispenses et qu’il est élevé en France où la politique de réductions des cotisations sociales est aussi très en vogue. Il apparaît donc que ces politiques n’atteignent que modérément leurs objectifs, à savoir créer de l’emploi.
Le deuxième poste de dépenses publiques plus élevées est l’enseignement (1,3 pp du PIB d’écart), et principalement l’enseignement obligatoire (secondaire et primaire) (1,5 pp du PIB). Ce sont les salaires qui sont l’unique facteur explicatif de cet écart (2,2pp). Le ratio de dépenses par enfant est supérieur par rapport aux pays voisins ainsi que le nombre d’enseignants par élève. Les dépenses d’enseignement dépendent uniquement des communautés (Communauté flamande (fusionnée avec la Région), Fédération Wallonie-Bruxelles, anciennement Communauté française). Le graphique ci-dessous est éclairant :
Le tableau figure en taille réelle dans le fichier <pdf>
référencé sous le titre de la chronique
La Communauté flamande dépense beaucoup plus, par enfant, que les 3 pays voisins et la Communauté française mais pour une performance de son enseignement bien meilleure (illustrée par les scores PISA (4)). Par contre, la Communauté française dépense plus que la France et l’Allemagne, autant que les Pays-Bas pour une performance désastreuse. L’exemple de l’enseignement souligne que des montants importants de dépenses publiques ne sont pas nécessairement une mauvaise pratique, pourvu qu’elles soient associées à une efficacité de résultats.
La Belgique dépense aussi plus pour son transport (1pp de PIB) par rapport à ses voisins. On peut avancer de nombreuses explications : une part moins importante du secteur privé dans les services de transport que dans les autres pays (avec une contribution plus importante des fonds publics), un réseau dense des routes, les congestions, la moindre concentration urbaine. 65% de ces dépenses sont à la charge des régions et autorités locales.
D’autres dépenses publiques sont aussi relativement supérieures à celles de pays voisins : les charges d’intérêt sur la dette publique (1pp), les administrations et ministères (0,4 pp), la recherche de base (0,6 pp, principalement dû à la Flandre, avec les résultats positifs que l’on connaît), les allocations familiales (0,4 pp). Par contre, les dépenses sont moindres dans la défense (-0,6 pp), les produits et équipements médicaux (-0,5 pp), les retraites (-0,4 pp) ou le chômage (-0,3%).
Cette courte chronique ne peut rendre compte de tous les enseignements de cette étude très riche, qui, en outre de décomposer la comparaison des dépenses à un niveau très fin, permet de répartir celles-ci entre les niveaux de pouvoir, fédéral et régional, mais pas toujours entre les régions. De même, l’étude trace l’évolution des principales dépenses depuis le début des années 2000, situant les moments de dérapage.
Une analyse plus approfondie de cette étude donnerait certainement des pistes solides aux différents gouvernements de ce pays, d’abord pour réduire le niveau global de dépenses tout à fait excessif, ensuite pour réorienter certaines dépenses vers des usages plus efficaces et plus utiles, et enfin pour revoir le système d’imposition et de taxation dans certains domaines, en parallèle avec la réduction des dépenses dont les retombées sont peu convaincantes.
______________________
(1) https://www.nbb.be/fr/articles/depenses-publiques-en-belgique-une-analyse-comparative
(2) Les auteurs ont choisi l’année 2019, les dépenses 2020 ayant été distordues par la pandémie du COVID 19.
(3) PIB= Produit Intérieur Brut, l’ensemble de la richesse produite en un an par un territoire (continent, pays, région).
(4) Site de l’OCDE (https://www.oecd.org/pisa/): « PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire. »
> Inscrivez-vous par mail à cette chronique économique :
economics [at] institut-destree.eu Bienvenue
> Partagez aussi cet article avec vos réseaux :
@InstitutDestree@InstitutDestreewww.linkedin.com/company/destree-institute/ Webmail de MAD-Skills.eu
(c) https://www.institut-destree.eu, en ligne depuis 1996,
ONG partenaire UNESCO et UN-ECOSOC depuis 2012
Propulsé par hébergé par wistee.fr