Hongkong © Anekoho | Dreamstime.com
La situation à Hongkong nous inquiète au niveau de la gouvernance, de la démocratie et des droits humains, incontestables valeurs de base. Et ceci sans remettre en cause le fait qu’en un siècle, la Chine a réussi à sortir un milliard d’êtres humains de la pauvreté, exemple donné par Mark Elchardus dans sa constatation de ce que, souvent, les solutions aux défis sociétaux ont été apportées par des collectivités (1). Sans non plus édulcorer nos critiques face au traitement inacceptable des Ouighours au Xinjiang.
Le journal Le Monde titrait le 18 décembre dernier: "À Hongkong, un scrutin verrouillé par Pékin. Les candidats en lice pour le renouvellement du Parlement doivent être des "patriotes" agréés par la Chine" (2). L’éligibilité des candidats est contrôlée par un "comité d’étude" chargé de vérifier ledit patriotisme des candidats, mais aussi, sur base d’un avis de la police, l’absence de risque pour la "sécurité nationale". Il faut aussi savoir que, sur un total de 90 membres du Parlement, 20 sièges sont ainsi "élus" au suffrage universel direct, 30 sièges sont réservés à des corporations professionnelles et 40 autres sièges sont attribués par un "comité électoral" de 1.448 membres désignés... Une sanction de 3 ans de prison a été prévue pour les personnes appelant à l’abstention ou au vote blanc. Il n’est ainsi pas étonnant qu’au suffrage universel direct, un seul membre de l’opposition ait pu être élu au suffrage universel direct le 19 décembre dernier, le taux de participation stagnant à 30,2 %. À titre préventif, l’actuelle cheffe de l’exécutif de Hongkong, Carrie Lam avait d’ailleurs annoncé au préalable qu’une faible participation au scrutin traduirait un taux de satisfaction élevé dans la population (sic) (3).
L’utilisation du terme "patriote" a eu pour effet d’affaiblir les forces promouvant la démocratie et ainsi les ferments de celle-ci. On ne peut pas dire que cette opération ait pu faire aimer la Chine par les démocrates, alors que Xia Baolong, directeur du Bureau des affaires d’Hongkong et de Macao, déclarait que "Être patriote signifie aimer la République populaire de Chine" (4). Et le site de l’Ambassade chinoise à Paris diffuse un message de son Ambassadeur, caricaturant par ricochet les tenants de la démocratie en Chine et autre part: "Qu’il me soit permis de demander: quel pays du monde confierait la gouvernance d’un lieu de son territoire à des personnes qui ne souscrivent pas du tout à leur patrie et à leur nation, qui n’ont aucune loyauté envers la patrie et la nation et qui agissent volontairement en tant qu’agents politiques des forces étrangères? Ou bien aux personnes qui appellent et se livrent à des activités séparatistes et nuisent aux intérêts fondamentaux?" (5). Dans un tel contexte, il est difficile aux peuples de disposer d’eux-mêmes et aux opposants démocrates d’exister.
Ceci peut laisser penser que, dans l’absolu, le mot "patriote" devrait être utilisé avec précaution, car il peut être dévoyé de sa définition ("personne qui aime sa patrie et la sert avec dévouement", Robert) et ne pas correspondre à une réalité multi-facettes. Il peut parfois présenter un risque d’opposition (ou d’équilibrage délicat) avec des droits fondamentaux, comme cela a parfois été le cas pour le Patriot Act aux États-Unis. Ou encore véhiculer une sorte d’appel à l’émoussement de l’esprit critique, comme l’avait ressenti Hillary Clinton, déclarant: "Je suis fatiguée des gens qui disent que si vous débattez et critiquez l’administration, vous n’êtes pas vraiment patriote. Nous devons nous lever et dire que nous sommes Américains et avons le droit de débattre et de critiquer n’importe quelle administration".
Cela vaut particulièrement pour l’Europe et bien sûr pour la Belgique. On se rappellera l’amertume de Jean-Claude Juncker, en fin de mandat européen: "Je suis triste de ne pas avoir réussi à faire aimer l’Europe aux Européens" (6). Et pour la seule Belgique, deux déclarations de l’année 1980, qui a célébré son 150ème anniversaire:
- dans De Standaard du 21 juillet, l’éditorialiste Manu Ruys écrivant qu’"il est difficile d’aimer la Belgique";
- François Perin, démissionnant du Sénat le 26 mai et affirmant qu’"il est difficile de rester parlementaire d’un État auquel on ne croit plus et dont le système politique paraît absurde, et représentant d’une nation (...) qui n’existe pas" (7).
Plus de 40 ans plus tard, le fédéralisme a progressivement reconfiguré la Belgique sur la base de ses composantes régionales et la dimension et l’emprise européennes se sont accentuées.
La mondialisation et l’internationalisation des parcours estudiantins et professionnels ont contribué au façonnage de diversités multi-facettes prenant en considération plusieurs territoires et cultures forgeant l’identité, par exemple:
- un pays et/ou une région de provenance par l’immigration;
- différentes origines familiales;
- les différents lieux de résidence dans leur dimension locale, régionale et/ou nationale;
- les études et formations suivies;
- la région ou le pays d’origine de la compagne ou du compagnon;
- l’Union Européenne comme espace de développement durable et de pacification;
- l’orientation philosophique ou religieuse;
- l’attachement à une culture et à ses dimensions artistique et/ou scientifique;
- les pratiques linguistiques.
Il apparaît donc qu’une personne peut développer une relation basée sur l’affection et la fidélité avec plusieurs espaces territoriaux (en ce compris un pays et une de ses composantes fédérées), et ce sans établir ni hiérarchie entre eux ni exclusivité. Le patriotisme classique est ainsi dépassé par la diversité croissante, qui permet d’éviter l’allégeance exclusive.
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(1) « La Belgique est aujourd’hui en panne de récit », interview de Mark Elchardus par Jacques Hermans et Tom Guillaume, La Libre Belgique, 24 décembre 2021, pp. 8 - 9
(2) p. 2
(3) Philippe Paquet, Une farce électorale à Hongkong, La Libre Belgique, 18 décembre 2021, p. 64; Louise Delmotte, Seuls les « patriotes » adoubés par Pékin se présentent aux élections, Le Soir, 18 et 19 décembre 2021, p. 20
(4) « Hongkong: la Chine évoque un plan pour garantir des élus patriotes », par Le Figaro avec AFP, 22 février 2021
(5) amb-chine.fr
(6) L’Écho, 13 septembre 2019, 22:15
(7) Philippe Destatte, Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995:
http://www.wallonie-en-ligne.net/1995_Wallonie_Atouts-References/1995_ch03-2_Destatte_Philippe.htm
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