> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Les résultats très mitigés de la politique européenne de convergence économique
2022-06 - Namur, le 14 février 2022. > [pdf]
© fabrikasimf
La politique de cohésion est une des politiques fondatrices de ce qui s’appelle maintenant l’Union Européenne mais qui, alors, en 1959, s’appelait la Communauté économique européenne, toute jeune d’à peine deux ans. Deux fonds sont créés cette année-là, le Fonds d’orientation et de garanties agricoles (FEOGA), socle de la future politique agricole commune, et le Fonds social européen (FSE), premier des fonds structurels européens. Ces deux fonds doivent concrétiser l’intention inscrite dans le préambule du Traité de Rome "de renforcer l’unité des économies [des Etats-Membres] et d’en assurer le développement harmonieux en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées".
En 1975 est créé le FEDER (Fonds européen de Développement régional) tandis que l’Acte unique de 1986 veut doter l’Europe d’une politique de cohésion, c’est-à-dire, comme elle est définie sur le site de la Commission européenne, une politique "destinée à renforcer la cohésion économique et sociale en réduisant les disparités des niveaux de développement des régions". C’est donc, et c’est très important, une politique de convergence économique à destination des régions européennes et non des pays.
La politique de cohésion est dotée, depuis son origine, d’un budget extrêmement important. Il tourne autour de 30% du budget européen depuis 1994, et restera dans ces proportions dans la programmation budgétaire 2021-2027. Avec 392 milliards d’euros, c’est, à quelques milliards près, autant que la politique agricole commune. Ces deux politiques comptent donc, à elles seules, pour près de 60% du budget total de l’Union européenne.
Tous les trois ans, un rapport sur la politique de cohésion est publié par la Commission européenne. Le 8ème rapport (1), qui a été publié ce 9 février (2), contient une section très intéressante sur la convergence économique des régions européennes entre 2000 et 2019. Cette analyse rétrospective jette, en dépit du ton positif et volontariste du rapport, des doutes certains sur l’efficacité de la politique de cohésion, surtout si on a gardé à l’esprit les ordres de grandeur budgétaire.
Le graphique suivant parle de lui-même :
Le tableau figure en taille réelle dans le fichier <pdf> référencé sous le titre de la chronique.
Les régions européennes sont réparties en 3 catégories selon leur niveau de PIB par habitant (PIB/hab), non en euros mais en "standard des pouvoirs d’achat" (SPP) (3). Une première catégorie "les régions les moins développées" comprend les régions dont le PIB/hab est en-dessous de 75% de la moyenne européenne, une deuxième catégorie (les régions en transition) reprend les régions dont le PIB/hab est compris entre 75% et 100%, tandis que les régions plus développées, qui ont un PIB/hab au-delà de 100% de la moyenne européenne, forment la troisième catégorie.
Le graphique montre une convergence des régions les moins développées (la ligne jaune) vers la moyenne européenne, de manière continue depuis 2000 (à l’exception de l’année 2009-2010 en raison de la crise). Mais pas de manière très spectaculaire puisque ces régions passent d’un indice 50 à un indice 60 en 20 ans. En outre, ces progrès de la convergence résultent d’un effet presque mécanique, en raison des sommes très importantes qui se sont déversées sur ces régions. Cet afflux d’argent provoque un effet "demande" suffisant pour gonfler significativement le PIB, sans compter que sont mises en place des infrastructures de base qui ont aussi un effet immédiat sur la productivité globale de l’économie. Mais qu’en sera-t-il dans les prochaines années, une fois que les premiers gains du développement seront acquis et que ces régions entreront dans des phases de développement plus complexes ? On voit déjà, sur le graphique, que, depuis la crise de 2008, il n’y a plus eu de progrès de convergence, ou vraiment très légers. Le seul espoir est que, maintenant que les dommages de la crise financière et des dettes souveraines sont effacés, le chemin de la convergence reprenne pour ces régions.
La situation est encore plus décevante pour les régions dites en transition. Non seulement les fonds structurels (ainsi nommés l’ensemble des fonds qui participent à la politique de cohésion) octroyés par l’UE n’ont amené aucune amélioration jusque la crise de 2008, mais, bien pire, on assiste, depuis lors, à une nouvelle période de divergence avec la moyenne européenne, l’effet exactement inverse de celui attendu. Est-ce à dire que la politique de cohésion est inefficace ? Répondre à cette question risquerait une telle remise en cause d’une politique inscrite dans les dogmes de l’UE, politique qui a monopolisé tant d’argent (car les sommes européennes sont doublées par les régions), qui occupe tant de fonctionnaires européens (une direction générale entière) et tant d’autres milliers de personnes à travers toute l’Europe (dans les administrations, dans les projets etc.), que le rapport évite soigneusement de s’y risquer. Il cite simplement certains facteurs explicatifs où ces régions montrent des faiblesses: le niveau de la valeur ajoutée industrielle, le capital humain, l’innovation, la qualité des institutions et des gouvernements locaux.
On ne peut écarter un certain trouble sur la raison d’être de la politique de cohésion quand on remarque que ce sont justement sur ces facteurs que l’argent des différents fonds structurels (FEDER, FSE, interreg) s’est concentré. Au constat que les fonds structurels financent des projets dans les domaines-clés visant à accélérer la convergence et que cependant aucun progrès n’est constaté, on peut proposer trois explications : qu’il existe d’autres freins structurels que l’argent à l’amélioration de ces facteurs concourant à la convergence économique, que les sommes des fonds structurels sont mal dépensées, ou qu’elles sont insuffisantes pour vraiment initier un mouvement structurel de convergence. La plus probable des réponses, pour bon nombre de régions, est une combinaison de ces trois raisons.
Et, à ce propos, qu’en est-il de la Wallonie, qui a abondamment bénéficié des fonds structurels pendant près de 30 ans ? Ont-ils eu un effet positif et durable sur sa trajectoire de convergence, et sur celle de ses provinces ? Ou allons-nous être amenés à devoir peser le poids spécifique de chacune des trois raisons avancées plus haut pour comprendre la relative impuissance des fonds structurels à mettre notre région sur le chemin de la convergence ? Ce sera le sujet de notre prochaine chronique.
___________________________
(1) https://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/reports/cohesion8/8cr.pdf
(2) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_762
(3) Le PIB d’une entité géographique (continent, pays, régions) est la somme des productions de biens et services exprimée dans une monnaie. Le “standard de pouvoir d’achat” (SPP) est “une unité monétaire fictive qui élimine les différences de niveaux de prix entre les pays” (INSEE). Cette expression des PIB des pays et régions en SPP permet une comparaison entre eux.
> Inscrivez-vous par mail à cette chronique économique :
economics [at] institut-destree.eu Bienvenue
> Partagez aussi cet article avec vos réseaux :
@InstitutDestree@InstitutDestreewww.linkedin.com/company/destree-institute/ Webmail de MAD-Skills.eu
(c) https://www.institut-destree.eu, en ligne depuis 1996,
ONG partenaire UNESCO et UN-ECOSOC depuis 2012
Propulsé par hébergé par wistee.fr