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« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde »: c’est l’exacte citation d’Albert Camus (1). On la connaît surtout transformée par Éric Fottorino: « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité » (2).
Prenons le mot « populisme », pour lequel le Robert « ratisse large »: « Discours politique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants ». Stéphane Dion (3) est plus précis à propos de l’idéologie populiste qui « met en scène un parti ou un leader fort qui se porte au secours du peuple menacé par des élites corrompues, égocentriques et déconnectées » (4).
On voit tout de suite le risque (a fortiori accentué en fonction de la grandiloquence des leaders) de la conception et de la diffusion professionnelle de fake news ou d’analyses basées sur de faux fondements. Sans compter que, engoncés dans leur critique systématique et acerbe des gouvernements et institutions démocratiques, les populistes disent vouloir rendre au peuple le pouvoir qui leur aurait été confisqué. On est parfois ainsi passé de la lutte des classes à la lutte entre peuples et « élites » (5), voire entre peuple et «politiciens inefficaces » (avec, comme exemple actuel, la Tunisie devenue un régime hyper-présidentiel de fait par la suspension du Parlement en juillet dernier, suivie de sa dissolution en février de cette année) (6) (7).
Il ne s’agit pas ici d’attribuer, dans notre paysage politique belge, des « bonnets de populisme » signifiant de mauvaises cotes en matière de démocratie. Mais plutôt de pointer des déclarations pouvant faire réfléchir quant aux risques du populisme:
• Théo FRANCKEN (NVA) (8) par rapport à la prochaine réforme de l’État et aux francophones: « dire non à tout et n’être jamais demandeur de rien ne fera que mettre notre démocratie sous pression dans un contexte qui est déjà difficile en Europe » (9). On pourrait interpréter cette déclaration en se demandant s’il faut vraiment s’aplatir pour sauver la démocratie...
• Sammy MAHDI, Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration (CD&V): « Apprendre le néerlandais n’est pas obligatoire dans l’enseignement francophone: c’est scandaleux, un manque total de respect. Le pouvoir fédéral devrait pouvoir obliger les Wallons à l’apprendre » (10). À titre personnel, je recommande la présence obligatoire du néerlandais dans nos programmes scolaires, mais il me paraît hors de question de revenir ainsi sur l’autonomie pleine et entière des entités fédérées en matière d’enseignement, le pouvoir fédéral ne pouvant être l’instrument d’une de ces entités pour imposer ses volontés à une autre entité fédérée.
• Le même Sammy MAHDI: « Si j’étais wallon, je serais beaucoup plus volontariste sur les opportunités de la Région dans un contexte belge à la place de chaque fois regarder ce que la tirelire belge peut faire pour moi » (11). Lui qui parlait de « manque de respect » des Wallons quant au caractère non obligatoire du néerlandais dans l’enseignement, voilà qu’il en commet un véritable. La Wallonie est résiliente, créative et volontariste. Et réclamer et préparer un système de péréquation relève de ces qualités, dans un monde où de tels systèmes existent dans les États fédéraux comme confédéraux. L’Allemagne nous en donne l’exemple depuis 1969.
En conclusion, la démocratie se renforcera par la participation délibérative citoyenne et l’efficacité, mais aussi la vivacité, de la représentation parlementaire. La démocratie le fera aussi avec les mots et formules qui la respectent.
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(1) Sur une philosophie de l’expression, compte rendu de Brice Parain, Recherches sur la nature et la fonction du langage, Gallimard, in Poésie 44, n° 17, p. 22
(2) Suite à un accident grave de voyageur, Gallimard, 2013
(3) Ambassadeur du Canada en Allemagne et auprès de l’UE
(4) Discours prononcé lors de la conférence « Crying for respect, seduced by populism? Nationalism as a Challenge to the European Project », Université de Tübingen, 18 mars 2019
(5) Marion DUPONT, L’insaisissable essence du populisme, Le Monde, 26 mars 2022, pp. 28 - 29
(6) Hamadi REDISSI, « Tous les jours, Kaïs Saïed grignote sur l’ensemble des pouvoirs », entretien avec Vincent Braun, La Libre Belgique, 18 mai 2022, p. 15: « Un parlement qui agit non pas comme une chambre de représentation mais telle une chambre d’enregistrement des décisions du chef, et un peuple qui applaudit, on peut appeler cela une dictature plébiscitaire ».
(7) Parallèlement, la force de la démocratie a joué au Maroc avec les dernières élections législatives réduisant très sensiblement le poids électoral du parti d’inspiration islamiste.
(8) Après son appel au Vlaams Belang à ne pas se présenter aux élections fédérales avec l’espoir que leurs électeurs se rabattent sur la N-VA. Même s’il ne s’agit pas d’une offre de la N-VA elle-même, cette offre provient quand même d’une personnalité importante du parti le plus proche idéologiquement du Vlaams Belang. Elle contient dès lors la promesse implicite de prendre en considération son programme... Même si l’on n’est pas nécessairement d’accord avec lui, on pourrait comprendre la proposition de François Desmet, Président de DÉFI, d’inclure la N-VA dans le cordon sanitaire des francophones (La Libre Belgique, 20 mai 2022, pp. 4 - 5).
(9) « Nous sommes au bout de tout dans ce pays. En 2024, il faudra choisir. », L’Écho, 14 mai. pp. 6 - 7
(10) La Libre Belgique, 10 mai 2022.
(11) « Le danger est que l’enthousiasme des hébergeurs s’estompe », Le Soir, 21 - 22 mai 2022, p. 12.
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