> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Associer les Régions et communautés à un futur "jobs deal" (1)
2022-19 - Namur, le 7 juin 2022. > [pdf]
L’objectif que s’est fixé le Gouvernement fédéral d’atteindre un taux d’emploi de 80% en Belgique fait l’objet de toutes les attentions, tant des ministres fédéraux que des partis politiques et des médias. Et c’est heureux, surtout pour la Wallonie dont la faiblesse du taux d’emploi (65% à la fin de 2021, contre 72% pour la moyenne européenne) est la principale cause de ses problèmes économiques, sociaux et budgétaires.
Mais pour agir efficacement sur le taux d’emploi, encore faut-il ne pas se tromper sur les causes qui freinent la création d’emplois.
Par exemple, peu de mesures contenues dans "jobs deal" porté par le gouvernement fédéral, et sur lesquelles les interlocuteurs sociaux ne sont pas parvenus à s’accorder, vont vraiment soutenir l’augmentation du taux d’emploi. Pratiquement, seules les mesures visant à favoriser l’e-commerce pourraient créer de nouveaux emplois.
Georges-Louis Bouchez, président du MR, dans une interview au journal "Le Soir" du 2 juin, en appelle à une nouvelle grande réforme du marché du travail, un "jobs deal II", pour lequel il suggère toute une série de mesures. Différons l’analyse de leur pertinence ou de leur faisabilité pour nous concentrer sur l’absolue nécessité et priorité d’intégrer à ce "jobs deal" un volet de mesures relevant des compétences régionales.
La première entrave à la création d’emplois en Wallonie est, ce qui se nomme dans le jargon des économistes, une "défaillance de marché" : la demande de travail ne rencontre pas son offre (2). Le premier défi d’un "jobs deal" serait que les employeurs (principalement les entreprises, mais aussi les pouvoirs publics ou le non-marchand) trouvent la main-d’œuvre qu’ils recherchent. Le nombre élevé d’emplois vacants et de métiers en pénuries ainsi que les délais parfois très longs pour trouver le personnel adéquat alors que de nombreuses personnes sans emploi souhaitent travailler illustre cette défaillance, qui s’explique par trois causes principales : (i) les personnes souhaitant travailler ne trouvent simplement pas leurs employeurs potentiels, (ii) les demandeurs d’emploi n’ont pas les formations suffisantes pour accéder à un emploi, (iii) certains emplois proposés présentent une faible attractivité (pénibilité, salaires trop bas).
Le remède à la première cause – les demandeurs d’emplois ne connaissent pas leurs employeurs potentiels (et inversement) - relève de l’agence régionale pour l’emploi, du FOREM. C’est la mission première du FOREM, d’une part, de bien comprendre les compétences que les employeurs cherchent et, d’autre part, d’identifier, stimuler, préparer les meilleurs candidats potentiels à ces postes. Cette mission devrait mobiliser toutes les ressources nécessaires à son accomplissement. Déjà pourvoir les emplois pour lesquels il existe des candidats valables initierait une vraie dynamique de l’économie wallonne, car l’emploi appelle l’emploi. Le décret (loi wallonne) sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi, voté par le Parlement de Wallonie en décembre 2021, doit être mis en œuvre dans tous ses aspects et le plus rapidement possible.
Les déficiences de formation constituent le deuxième frein à la prise d’emploi. Le FOREM, qui gère ou supervise les principaux centres de formation, joue aussi un rôle déterminant dans l’efficacité du système de formation : proposer rapidement les formations adéquates, les créer si nécessaires, les évaluer pour encore mieux les adapter aux besoins des employeurs. Mais les enjeux de formation ne s’arrêtent pas aux seuls centres de formation. L’enseignement en alternance est un vecteur de mise à l’emploi qui a fait ses preuves dans de nombreux pays. Or, cet enseignement, écartelé entre les compétences de la Région wallonne et celles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, est loin d’être optimal dans la francophonie belge. Depuis 2015, l’ouvrage est sur le métier, sans beaucoup de progrès. Une nouvelle tentative de réforme a été lancée fin avril par les différents Gouvernements. C’est un des chantiers les plus cruciaux pour l’avenir économique de la Wallonie.
Le troisième obstacle à une nouvelle dynamique de l’emploi en Wallonie est la faible attractivité de certains emplois. On peut fustiger les demandeurs d’emploi qui refusent certaines offres d’emploi ou délaissent certaines formations. Certes, il existe des tire-au-flanc partout et le climat en Wallonie ne pousse pas à se faire violence. Mais le problème est plus complexe et mérite une analyse plus circonstanciée. Peut-être que les sanctions et la dégressivité des allocations de chômage inciteraient certaines personnes à accepter un emploi, mais certainement pas dans des proportions qui augmenteraient significativement le taux d’emploi. Il est sans doute politiquement rentable d’insister sur les sanctions contre les chômeurs abusifs (sanctions qui doivent bien sûr exister), mais le résultat sera sans doute économiquement et socialement bien moins satisfaisant.
Les motivations des personnes qui hésitent à accepter ou refusent un emploi méritent réflexion. Après tout, ils/elles ont peut-être raison : les conditions de certains emplois pourraient être améliorées. Peut-être ces réticences sont-elles aussi dues à un manque d’information. Quelles que soient les raisons de la méfiance ou du refus, c’est aux employeurs d’examiner comment rendre leurs offres d’emploi plus attractives.
L’augmentation du salaire net des tranches salariales les plus faibles, par la réduction des charges fiscales, inciterait certainement à la prise d’un emploi, et justifierait plus aisément les sanctions. L’accroissement de l’écart entre salaires et allocations sociales atténuerait en effet les fameux "pièges à l’emploi", à savoir le fait que rationnellement il est financièrement plus intéressant pour certaines personnes de percevoir des allocations sociales plutôt que d’accepter un emploi.
La deuxième grande cause de la faiblesse du taux d’emploi en Wallonie, après les "déficiences de marché", réside dans le taux d’inactivité des personnes de plus de 55 ans. Parmi ces personnes qui ont quitté le marché du travail (c’est-à-dire qui ne travaillent plus et ne cherchent pas à travailler), on retrouve notamment des malades de longue durée, mais aussi des personnes qui prennent leur retraite, parfois longtemps avant l’âge légal. Ce problème doit être urgemment adressé en Flandre, où le chômage, à son minimum, ne peut plus fournir beaucoup de nouvelles mains d’œuvre. Le grand nombre d’inactifs est tout autant (sinon plus) préoccupant en Wallonie, mais il vient s’ajouter à la première priorité dans le court terme, tout à fait urgente, qui est d’aider ceux et celles qui souhaitent travailler à trouver un emploi, et d’ainsi freiner le basculement dans le chômage de longue durée.
La conclusion principale de cette analyse, et dont doit tenir compte un futur "jobs deal", tient dans ce que les grands enjeux à court terme de l’emploi en Wallonie relèvent essentiellement des compétences régionales, à la différence de la Flandre qui a un besoin plus pressant de mesures fédérales pour accroître son taux d’emploi.
On constate, dans les médias et les préoccupations des partis politiques, un tropisme centré sur les mesures que le Gouvernement fédéral pourrait prendre pour pousser le taux d’emploi. Mais, du moins pour la Wallonie et Bruxelles, les mesures régionales sont tout aussi cruciales. Un "jobs deal" d’envergure est certainement indispensable en Belgique mais les Régions et les Communautés doivent y être étroitement associées.
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(1) Nous avions prévu de consacrer cette chronique à la “stratégie d’emplois de qualité” développée par Dani Rodrik et Stefanie Stantcheva. Nous n’avons cependant pas résisté aux sirènes de l’actualité mais ce n’est que partie remise.
(2) Une clarification sémantique : la demande de travail, issue des employeurs, se concrétise par des offres d’emploi, tandis que l’offre de travail se manifeste par des demandes d’emplois.
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