v Liberté de croire ou de ne pas croire, mais primauté de la loi civile et des droits humains sur les principes religieux
Namur, le 19 juillet 2022.
Plusieurs situations récentes ont induit des échanges et positions quant à l’état légal face à la coexistence de la liberté religieuse et des droits et valeurs portés par la norme civile. Évoquons donc ci-après quelques unes de ces situations et les droits concernés.
(1) Le bien-être animal
Dans le récent débat au Parlement bruxellois sur l’étourdissement des animaux avant abattage, on a entendu le président du groupe politique Vooruit, Fouad AHIDAR, déclarer: "Je ne peux et ne veux pas croire que Dieu souhaite que les animaux souffrent" (1), ce qui revenait à faire prévaloir une impression religieuse rendant l’étourdissement non nécessaire et contrecarrant les avis scientifiques ainsi que le cadre législatif relatif au bien-être animal. Ce cadre est en effet porteur des libertés de ne pas souffrir de douleurs, blessures ou maladies et de ne pas éprouver de peur ou de détresse. Le Président de Vooruit a réagi en signalant que l’intéressé avait immédiatement été exclu du bureau exécutif du parti.
Si chaque croyant donnait son impression quant à ce que veut son Dieu et voulait l’imposer à tous, notre société deviendrait vraiment invivable.
(2) L’égalité entre les femmes et les hommes
On se rappellera que, dans un débat tenu le 22 avril 2018 sur RTL-TVI, Redouane AHROUCH, cofondateur du parti Islam, avait tenu des propos sexistes et refusé de dialoguer et de regarder la chroniqueuse en plateau pour la raison qu’elle était une femme. L’intéressé justifiait son attitude par la liberté d’expression, de pensée et de religion.
Il a été condamné pour ces faits en première instance, puis en appel en février dernier. La Cour d’Appel soulignait la "gravité" des faits qui "ont porté atteinte non seulement à une femme en particulier, méprisée parce qu’elle est une femme", mais aussi à "une valeur fondamentale de notre société démocratique, à savoir l’égalité entre les femmes et les hommes". La Cour de Cassation vient de confirmer cela le 8 juin en indiquant aussi que:
- "l’intention d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne ou de la considérer comme inférieure est susceptible d’entraîner une atteinte grave à la dignité de cette personne"
- "les besoins sociaux impérieux, dont le principe des hommes et des femmes fait partie, justifient certaines restrictions à la liberté d’expression" (2).
Ici aussi, les droits humains et leur protection juridique par la loi civile priment sur les principes religieux.
(3) Le même principe d’égalité au regard du système belge de financement des cultes
On a vu cette année que le non-respect dudit principe d’égalité femme-homme pourrait constituer un obstacle à l’application en Belgique de l’actuel système de financement des cultes. La Cour européenne des droits de l’homme vient en effet de condamner la Belgique (en l’occurrence la Région Bruxelloise) le 5 avril dernier pour la raison que les critères utilisés pour le financement sont insatisfaisants (3).
Une des questions qui se pose est de savoir si le caractère public du financement n’est pas automatiquement assorti de l’obligation d’appliquer le principe d’égalité femme - homme chez les subsidiés, qui seraient alors tenus d’organiser l’accès à la qualité de Ministre du culte à des femmes.
À ce sujet, il est intéressant de signaler que, dans le cadre du synode lancé en octobre 2021 sur le fonctionnement de l’Église et son avenir, les catholiques belges viennent d’adresser au Vatican un document comprenant notamment le point suivant dans ses conclusions: "L’appel le plus important concerne les conditions du ministère. Des appels proviennent de toutes parts pour ouvrir le ministère ordonné (c.à.d. notamment la prétrise) aux femmes et aux personnes mariées." (4)
(4) Le droit des femmes à disposer de leur corps
Sans évoquer la situation en Belgique, qui a évolué positivement mais reste perfectible, on ne peut rester impassible face au recul en matière de droit à l'avortement aux États-Unis. Ce droit à portée fédérale, basé sur un arrêt de 1973 de la Cour Suprême, vient d’être remis en cause par un arrêt du 24 juin de la même Cour, clairement à majorité conservatrice. Selon cet arrêt, chaque État sera libre d’autoriser les IVG ou non (5).
Même si ce revirement peut être présenté comme un renforcement des pouvoirs pour des autorités publiques sensées être plus proches du citoyen, il entraîne actuellement la suppression d’un droit vital pour près de la moitié des femmes américaines en âge de procréer. Ce dramatique résultat provient du jusqu’au-boutisme républicain à façonner une Cour suprême conservatrice aux deux tiers et de la pression patiente et déterminée des militants évangélistes d’extrême droite à faire abroger le droit à l’avortement.
Voilà une situation caractéristique de victoire d’une minorité, mais aussi de primauté de principes religieux sur la loi civile et ce alors que la majorité des Américains (plus de 60 %) sont en faveur de la possibilité d’avorter et voient cette abrogation d’un mauvais œil. (6)
* * *
Ces exemples actuels posent la question de l’attitude générale qui devrait être adoptée par les différentes religions (ou leur imposées), afin que l’harmonie entre personnes et le respect de chacun puissent être réels et constamment concrétisés:
- les religions et leurs organisations peuvent recommander des valeurs et règles de vie aux personnes qui se réclament d’elles, mais elles ne peuvent pas agir (lobbyer par exemple) et revendiquer pour que ces valeurs et règles de vie s’imposent aux autres personnes;
- ces valeurs et règles de vie ne peuvent être contraires à la loi civile et aux traités internationaux;
- la diversité philosophique et religieuse doit constituer une valeur et une règle civile de base, en corollaire avec des règles civiles également supérieures aux principes religieux.
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(1) bruzz.be, Politiek, 17/6/2022
(2) https://bx1.be/categories/news/comportements-sexistes-de-re...nfirme-la-primaute-de-la-loi-civile-sur-les-principes-religieux/27/06/22 22:09
(3) Justice-en-ligne, La Cour de Strasbourg juge le régime belge de reconnaissance des cultes discriminatoire, Stéphane Wattier, 6 juillet 2022
(4) Bosco d’Otreppe, De nombreux catholiques belges souhaitent des femmes prêtres, La Libre Belgique, 7 juillet 2022, p. 4
(5) L’Écho, AFP Louise Tessier, La Cour suprême des États-Unis révoque le droit à l’avortement, 24 juin 2022, 16:57
(6) Emma Poesy, « Les militants évangéliques d’extrême droite s’organisent depuis des décennies pour faire abroger le droit à l’avortement », L’OBS, 28 juin 2022, 15:21
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