Notre tribune précédente était consacrée à un des principes de base du fédéralisme, la participation, liée elle-même à l’architecture fédéraliste, faite de superposition, qui répartit les compétences entre chacun des États fédérés et un État fédéral qui englobe l’ensemble du territoire du pays. Et l’on arrive ainsi naturellement, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, à un autre principe de base du fédéralisme, sans lequel on en serait au stade de l’État unitaire: l’autonomie. Celle-ci fait que les États fédérés peuvent prendre des décisions différentes dans chacune des compétences qu’ils détiennent, ce qui est tout-à-fait justifié vu les dissemblances entre leurs populations et territoires, mais n’empêche pas des recherches d’harmonisation ou d’accords de réciprocité. L’autonomie est la conséquence du principe de subsidiarité (en l’occurrence, retenir comme lieu d’action publique celui qui est le mieux à même de régler le problème visé, ce qui correspond à la formulation donnée par Philippe Destatte, en l’occurrence celui qui est le plus proche des bénéficiaires) (1).
La mise en œuvre du principe d’autonomie est d’autant mieux souhaitée et reconnue par les habitants du territoire concerné que ceux-ci en comprennent les enjeux et s’approprient le cadre ainsi constitué, notamment par une approche holistique (vue d’ensemble des compétences et besoins) et la participation citoyenne au processus délibératif.
Il est aussi important pour la qualité, le caractère inclusif, l’aspect démocratique et l’efficacité de la gouvernance, notamment régionale, que soient acceptés et culturellement intégrés par le citoyen la possibilité et le droit, pour chaque pouvoir régional concerné, de dissemblance de ses décisions et politiques par rapport à celles des autres pouvoirs régionaux appartenant à la même fédération. Il est en effet trop facile de comparer une seule mesure où le citoyen est par exemple plus taxé que dans les autres Régions, alors qu’une vision d’ensemble ferait apparaître d’autres situations beaucoup plus favorables. Le tout est alors de relier des mesures se situant dans des secteurs et domaines différents.
L’autonomie en pratique
Ainsi, pour prendre l’exemple récent de la Wallonie, il y a été décidé de considérer, pour la fiscalité régionale, les camping cars comme des voitures et non plus comme des véhicules utilitaires, ce qui est correct en termes de qualification juridique, mais rend cette imposition beaucoup plus lourde que dans les autres Régions belges.
Par contre, comme relaté aussi par la presse flamande (2), le Gouvernement wallon a décidé, dans le cadre de la préparation de son budget 2023, d’indexer complètement les allocations familiales, estimant qu’on ne pouvait les "rogner" (beknibbelen) dans ces circonstances-là. Alors que le Gouvernement flamand était presque tombé sur la même question selon le Standaard (3), la même indexation n’a finalement pas été acceptée par celui-ci. En tout état de cause, on ne peut pas nier que cette décision prise au niveau wallon répondait aux attentes de nombreux ménages au vu de l’augmentation significative du coût de la vie et que le principe d’autonomie a été opportunément mis en œuvre. L’évocation des deux cas qui viennent d’être cités (la fiscalité des camping cars et l’indexation des allocations familiales) indique bien que le développement de la Wallonie passe aussi par la compréhension par les citoyens du principe d’autonomie dans l’exercice de ses compétences, y compris celles de se doter des moyens financiers nécessaires. Et cela au lieu de s’offusquer quand les décisions prises par les Régions divergent.
Comme autre illustration récente, cas pourtant plus difficile en raison de l’implication d’autres pouvoirs (les autres Régions, le pouvoir fédéral et l’Union Européenne), on peut citer les sanctions contre la Russie dans le secteur sidérurgique. Ce dossier nous a valu les titres ironiques suivants du Standaard des 8 et 9 octobre dernier: "Les liens avec un oligarche risquent de briser l’industrie sidérurgique wallonne" et "Les liens économiques de la Région Wallonne avec un magnat russe de l’acier contraignent la Belgique à un dilemme inconfortable. Qu’est-ce qui a la priorité? Punir Poutine ou sauver les usines sidérurgiques?" (4). Il était pourtant bien clair que, compétente pour la politique économique et actionnaire, via Sogepa, à 49 % de NLMK Belgium (joint venture avec le groupe sidérurgique russe NLMK), la Wallonie se devait d’être attentive aux 1.200 emplois en résultant sur les sites de Clabecq, La Louvière et Manage, alimentés en demi-produits par NMLK, ce qui l’a amenée à exprimer, en toute autonomie, sa préoccupation vis-à-vis de l’État fédéral et des autorités européennes. Et la Belgique a été le seul État membre de l’Union Européenne à s’abstenir lors du vote sur le 8ème paquet de sanctions contre la Russie. C’est ainsi qu’une période de transition de 2 ans a été prévue par l’UE pour l’entrée en vigueur des sanctions bloquant les importations de produits sidérurgiques russes. Ce report a été considéré par la direction de NLMK en Belgique comme une opportunité "pour trouver des solutions structurelles d’approvisionnement en brames" (5). Comme éléments d’éclairage, on aura aussi à noter que le PDG de NLMK (Novolipetsk Steel), Vladimir LISIN s’est exprimé contre la guerre en Ukraine, ce qui pourrait laisser croire que son groupe n’a pas fourni d’acier destiné au matériel d’agression et d’occupation de l’Ukraine.
L’autonomie est une force d’autant plus grande qu’elle repose sur la qualité de la relation entre les autorités publiques et les citoyen-ne-s, une relation basée sur l’explication et la consultation.
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(1) Philippe DESTATTE, Refédéraliser? Ou penser comme une montagne, PhD2050, 12 février 2019
(2) Waalse regering indexeert kinderbijslag wél volledig, De Standaard, 8-9 octobre 2022, p. 11
(3) Ibid.
(4) « Banden met oligarch dreigen Waalse staalindustrie zuur op te breken », « De economische banden van het Waals Gewest met een Russische staalmagnaat dwingen België tot een ongemakkelijke dilemma. Wat gaat voor: Poetin straffen of staalfabrieken redden? », De Standaard, 8-9 octobre 2022, p. 8.
(5) François-Xavier LEFÈVRE, Michel LAUWERS, Vincent GEORIS, Après les sanctions contre Moscou, NLMK a deux ans pour se sauver en Wallonie, L’Écho, 6 octobre 2022, 18:27.
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