Il est parfois (souvent?) intéressant de se demander si certains "produits étrangers de procédure institutionnelle" pourraient convenir dans le système où l’on vit, par exemple la Wallonie en Belgique.
Prenons chez nos voisins d’Outre-Quiévrain le fameux article 49-3 de la Constitution, qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un projet de loi et de le faire adopter sans vote du Parlement (comme cela vient d’être le cas pour la réforme des retraites). Considéré par François HOLLANDE en 2006, alors qu’il était premier secrétaire du Parti socialiste, comme une "brutalité" et un "déni de démocratie", il vient d’être présenté le 20 mars dernier par la Première Ministre Elisabeth BORNE comme un "choix profondément démocrate qu’a fait le Général de GAULLE", qui "n’est pas l’invention d’un dictateur".
On peut affirmer que l’absence de vote sur des dispositions précises n’empêche néanmoins pas l’adoption du texte et sa force exécutoire par sa promulgation, mais les fait dépendre de la réalisation d’une des deux hypothèses suivantes:
- soit aucune motion de censure contre le Gouvernement n’est valablement déposée dans les 24 heures de la déclaration du Premier Ministre indiquant le recours à l’article 49-3 (le silence ou l’inaction du Parlement ne peuvent certainement pas être interprétés comme une expression d’accord quant au texte soustrait au vote, cette soustraction indiquant par contre que le Gouvernement considérait que le Parlement n’approuverait pas le texte concerné);
- soit une mention de censure, signée par au moins un dixième des députés, est déposée dans les 24 heures, mais n’est pas adoptée, 48 heures après son dépôt, par au moins la majorité des membres composant l’Assemblée (il est évident que l’enjeu et le champ d’application d’un tel vote sont bien plus larges que le vote classique sur le projet de loi et impliquent des craintes et des sentiments plus lourds et plus généraux, comme la loyauté politique, le risque de grave crise gouvernementale, la prise en compte de l’ensemble de l’ensemble de l’action gouvernementale, etc...).
On a donc ainsi déplacé et élargi le périmètre du débat en passant du particulier au général, en l’occurrence dans le sens contraire au vieux principe juridique "specialia generalibus derogant".
Le plus grave dans cette mauvaise plomberie institutionnelle est que l’on déconsidère la fonction parlementaire et le pouvoir législatif, en grignotant quelque peu ses compétences en faveur du pouvoir exécutif et en affaiblissant la représentativité directe et sa légitimité démocratique. Et ce au point, comme le fait en toute bonne foi Pierre ROSANVALLON (1), de mettre, sinon sur le même pied, du moins comme béquille, une autre dimension de la légitimité, désignant "non pas un statut ou une procédure, mais ce qui est perçu comme juste et conforme à l’intérêt général". La question qui se pose ensuite est de savoir qui fixe cette perception et dès lors le contenu de l’intérêt général. Il paraît logique que le dernier mot revienne à cette représentation directe que constitue le Parlement comme pouvoir législatif. Celui-ci ne pourra que:
- prendre en compte comme base informative les légitimités de concertation (comme les partenaires sociaux) et d’expression collective (comme les associations et manifestations);
- organiser en son sein des sessions de délibération citoyenne (panels de personnes tirées au sort, le Parlement devant motiver et expliciter les raisons pour lesquelles il s’écarterait de ces propositions)
- se demander si - et le cas échéant, décider si - des questions évoquées ne devraient pas être soumises à référendum.
Bref. Il est vital de préserver et de renforcer ainsi la légitimité politique et morale de la démocratie directe représentative: cette légitimité vient du peuple, à savoir de l’ensemble de la communauté des citoyens dans leur diversité sociologique. (2)
Gare aux fake news....
Sans remettre du tout en cause les principes de l’égalité entre citoyens et de la liberté de la presse, il conviendra aussi de veiller à l’objectivité de l’information diffusée par les médias et réseaux touchant directement les citoyens. Les fake news et autres manipulations constituent en effet un risque majeur d’orientation de l’esprit de concitoyens vers un rejet de ce qui serait dès lors considéré comme faible et suspect et vers une recherche, même inconsciente, de justiciers autoritaires et autocrates.
Une partie de l’inspiration pour contrer ces dérives peut venir des États-Unis (3): FOX News avait accusé la firme productrice des machines à voter d’avoir contribué aux prétendues fraudes électorales qui, selon Donald TRUMP et ses partisans, auraient induit la victoire de Joe BIDEN en 2020. Suite à une action judiciaire, FOX News a reconnu sa responsabilité dans cette entreprise d’info-intoxication et a versé d’initiative 787,5 millions de $ de dommages-intérêts à l’entreprise. La démocratie en sort gagnante.
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(1) "Le débat sur les retraites est le signe d’un ébranlement de notre démocratie", Le Monde, 25 février 2023, pp. 28-29
(2) Thierry PECH et Dominique SCHNAPPER, "La démocratie représentative doit être relégitimée", Le Monde, 8 avril 2023, pp. 24-25
(3) Philippe PAQUET, "FOX News paie le prix fort pour ses mensonges", La Libre Belgique, 20 avril 2023
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