Au départ, le concept "BRIC" traduit un rapprochement de quatre pays ( Brésil, Russie, Inde et Chine) dotés des caractéristiques communes suivantes:
- un vaste territoire;
- un poids économique certain;
- d’importantes ressources naturelles;
- une volonté politique d’affirmer une capacité d’influence sur le monde et une multipolarité des équilibres économiques et politiques mondiaux.
Même si les deux termes (BRICs et pays émergents) ont parfois donné l’impression de se rapprocher de la synonymie, le terme "émergent" relève plutôt d’organisations internationales qualifiant de pays émergents ceux dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique rapide.
Les études du FMI retiennent ainsi les indicateurs suivants pour déterminer l’appartenance d’un pays au groupe des pays émergents:
- la présence systématique (la taille de l’économie du pays - PIB nominal -, sa population et la part de ses exportations dans le commerce mondial);
- l’accès aux marchés (la part de la dette extérieure du pays dans la dette extérieure mondiale, sa prise en compte ou non des indices mondiaux utilisés par les grands investisseurs institutionnels internationaux et la fréquence et le montant des émissions d’obligations internationales);
- le niveau de revenu (le PIB nominal par habitant du pays en $) (1).
On voit donc que les mots "BRICS" et "pays émergents" revêtent chacun une réalité différente, même si certains pays peuvent relever des deux réalités.
Par contre, à l’occasion du premier élargissement pluriel depuis 2011, l’évolution du membership aux BRICs (après l’adhésion de l’Afrique du Sud), passant de 5 à 11 pays, a bien indiqué que l’hétérogénéité des membres n’était pas considérée comme un problème et que la vastitude du territoire ne constituait pas un critère d’entrée, les Émirats Arabes Unis ne se distinguant pas particulièrement en la matière.
Que représentent les BRICS à 11 et que peut-on attendre d’eux?
En accueillant au 1er janvier 2024 les 6 pays dont ils ont accepté la candidature le 24 août dernier à Johannesburg (Arabie Saoudite, Argentine, Égypte, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Iran), les BRICS représentent 46 % de la population de la planète et un peu plus du tiers du produit intérieur brut mondial (2). Ils comptent 6 pays parmi les plus grandes puissances pétrolières du monde.
Jusqu’à preuve du contraire, on peut s’attendre à ce que le Onze "BRICS", malgré sa grande diversité:
- fera comprendre au reste du monde qu’en raison de son poids, il serait normal qu’il participe plus nettement à la gestion de celui-ci;
- compte tenu de la méfiance que ses membres lui portent (à des degrés divers), veillera à réduire l’influence de l’ "Occident" dans le monde et son système multilatéral actuel, notamment en commençant à créer une alternative à la dollarisation de l’économie. On notera toutefois que l’Inde, fortement tournée vers les pays en voie de développement, ne souhaite pas voir les BRICS se transformer en une plateforme anti-occidentale, qui servirait avant tout les intérêts de la Chine et de la Russie (3);
- vu la présence de la Russie en leur sein, pratiquera une certaine neutralité, voire une prudence de formulation, face à l’agression de la précitée contre l’Ukraine (4);
- poursuivra et amplifiera sur le plan économique et financier la coopération à l’intérieur du groupe. L’initiative a déjà donné lieu à la création d’une banque (New Development Bank) disposant de moyens importants et considérée comme une concurrente à la Banque Mondiale (5);
- défendra les préoccupations du Sud global, en ce compris les pays dits les moins avancés;
- plus largement, tentera de se doter d’une doctrine commune et d’un catalogue de positions internationales, ce qui ne sera pas aisé vu la diversité et le nombre de joueurs.
Il n’empêche que cette dimension "BRICS élargie" doit être prise en compte dans tout projet et toute réflexion concernant l’organisation et le fonctionnement du monde ainsi que dans toute élaboration de politique internationale par des États, fédéraux comme fédérés. La force élargie BRICS renforce incontestablement un design du monde basé sur la multipolarité et sur l’appartenance de chaque État à un grand nombre d’organisations, alliances et partenariats, structurels ou non structurels, avec des degrés variés d’intensité et d’opérationnalité (menus qui ne sont pas toujours dépourvus de contradictions internes).
Et l’on peut rêver et espérer qu’il ne sera plus question dans le monde de "capacité d’influence", mais plutôt d’ "aptitude au dialogue et à la coopération":
- dans le respect de l’intérêt général des collectivités visées
- mais aussi en référence réelle au socle de valeurs universelles, comme la liberté - notamment d’expression -, la dignité humaine, l’état de droit, la bonne gouvernance et la démocratie
- avec des actions concrètes en faveur du développement durable et de la lutte contre le changement climatique.
Le Sud peut avoir de superbes initiatives en dehors de la majorité des BRiCS
À propos de ces derniers points et de ce titre, on doit noter une excellente initiative venue de pays du Sud, tendant à valoriser l’important capital d’atténuation du réchauffement climatique que représente la forêt tropicale. Il s’agit d’un projet d’alliance des trois bassins forestiers tropicaux de la planète: Congo (6), Amazonie (7) et Bornéo - Mékong - Asie du Sud (8).
La République du Congo (Brazzaville) va réunir fin octobre les représentants des différents États présents dans les trois organisations régionales précitées en vue d’adopter un projet de Charte portant création de l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales, avec 4 missions concrètes prioritaires (en bref):
• servir de plateforme politique entre les pays bailleurs et les grands pays forestiers;
• répertorier l’ensemble des initiatives publiques et privées concernant les forêts;
• prévenir les crises touchant les forêts et préparer les pays forestiers, notamment les plus vulnérables, à y répondre plus rapidement;
• mettre en œuvre des politiques concertées favorisant une meilleure préservation des écosystèmes forestiers tropicaux.
Le but avoué est aussi de peser sur les rapports de force et les enjeux cruciaux, notamment financiers, de la COP 28 de Dubaï (réunissant du 30 novembre au 12 décembre 2023 les pays signataires de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques ainsi que les acteurs et actrices du climat).
Cet exemple se situant dans un domaine hyper-important peut en outre nous indiquer deux réalités:
- d’abord, que les pays dits du Sud peuvent se fédérer sur des sujets majeurs et des actions;
- ensuite, que les pays BRICS (sans remettre en cause la présence indispensable du Brésil) ne comptent que 2 États sur les 35 impliqués dans les trois grands bassins forestiers mondiaux).
Retours aux origines des BRICS
On peut ainsi revenir aux origines du mot "BRICs" en 2001, avec un "s" minuscule pour exprimer l’addition des 4 pays d’origine avant l’accession de l’Afrique du Sud (South Africa), qui a rendu le "s" majuscule. C’est en fait l’économiste britannique Jim O’NEIL, à l’époque Chief Economist chez Goldman Sachs, qui a, le premier, sorti l’acronyme. Tout récemment, donc 22 ans plus tard, il a déclaré dans une interview (9) que "Finalement, les BRICS jouent un rôle essentiellement symbolique" et, en réponse à la question de savoir si "l’Occident "ne devrait pas commencer à s’inquiéter face à la montée en puissance de ce "club"": "Certainement. Si nous ne changeons rien à la gouvernance mondiale, nous verrons probablement d’autres pays rejoindre les BRICS. Lorsque des pays comme l’Indonésie, le Mexique et la Turquie franchiront le pas, les BRICS représenteront une partie beaucoup plus importante que le G7. C’est une évolution que les États-Unis ont encouragée depuis l’élection de Trump en se repliant sur eux-mêmes" (9).
En tout état de cause, l’Union Européenne ne peut ni subir, ni mépriser, ni ignorer, même symboliquement, l’espace BRICS. À partir du moment où elle comprend que le dialogue avec lui peut être élargi à des organisations régionales (comme l’Union africaine et l’ASEAN) ainsi qu’à l’Amérique du Nord, au Royaume-Uni, à la Turquie, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande, ...
On peut toujours rêver: il s’agit de positiver les capacités d’influence en les transposant dans une action commune pour le sauvetage du monde qui nous est commun.
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(1) Rupa DUTTAGUPTA et Ceyla PAZARBASIOGLU, FMI, Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation, juin 2021, Finances et Développement
(2) La double logique de l’élargissement des BRICS, Éditorial, Le Monde, 26 août 2023, 12h30
(3) Six nouveaux pays dont l’Iran rallient les BRICS, Bruno PHILIP avec Benjamin BARTHE et Ghazal GOLSHIRI, Le Monde, 26 août 2023, p. 6
(4) Sommet des BRICS: une volonté de redessiner l’ordre mondial, Antonin MARSAC, La Libre Belgique, 22 août 2023, pp. 10-11
(5) Quelle diplomatie face aux BRICS?, Raoul DELCORDE, La Libre Belgique, 21 août 2923, pp. 32-33
(6) La Commission Climat du Bassin du Congo à été instituée le 22 avril 2018 par 9 États et l’Union Africaine (Cameroun, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo - RDC-, République du Congo - Brazzaville -, Guinée Équatoriale, Gabon, Angola, Rwanda et Maroc, ce dernier comme membre associé originel). Ils ont depuis lors été rejoints par 8 autres (Burundi, Sao Tomé & Principe, Kenya, Ouganda, Soudan du Sud, Tanzanie,Tchad, Zambie). Le texte fondateur prévoit la possibilité d’adhésion, en qualité de membre associé, par tout État africain se reconnaissant de l’objet de la Commission (en bref, accélérer la mise en œuvre de la transition climatique et de la transformation économique du Bassin du Congo dans une perspective de développement durable).
(7) Le bassin forestier tropical de l’Amazonie fait l’objet d’un traité de coopération, créé en 1995 pour protéger la forêt tropicale (OTCA) et réunissant le Brésil, la Bolivie, la Colombie, le Venezuela, l’Equateur, le Pérou, Guyana et le Suriname. Il y est notamment question de « gestion territoriale de la forêt amazonienne en l’appuyant sur les populations autochtones ». Des contacts sont en cours pour trouver comment y associer la Guyane française ( et donc la France).
(8) Pour ce qui concerne le bassin Bornéo - Mékong - Asie du Sud, les travaux au sein de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) visent à permettre d’engager le dialogue au sein de ses membres pour porter la création de la Commission Climat ad hoc. Les membres de l’ASEAN sont les suivants: Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Bruneï, Vietnam, Laos, Myanmar et Cambodge.
(9) Jim O’NEIL, économiste: « L’Occident devrait s’inquiéter de la montée en puissance des BRICS », L’Écho, 2 septembre 2023, p. 15.
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