> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Economie circulaire, la Wallonie s’y engage
2021-08 - Namur, le 1er mars 2021. > [pdf]
Institut Destrée, Economie circulaire, le passage à l'acte, 2015.
Saluons l’ambitieuse initiative de politique industrielle lancée par le Gouvernement wallon le 4 février dernier, "Circular Wallonia", créée sous l’impulsion du ministre de l’Economie, Willy Borsus, et co-pilotée par les ministres de l’Emploi et de l’Environnement, Christie Morreale et Céline Tellier.
L’économie circulaire, selon la claire et synthétique définition de l’Agence française de la Transition écologique, est "un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus".
L’économie circulaire inclut bien sûr l’économie du recyclage du plus de composants possibles d’un produit en fin de vie (une voiture, un ordinateur, un panneau photovoltaïque, etc.), mais elle a aussi dans ses objectifs, entre autres, celui de maintenir les produits le plus longtemps possible en vie, par le réemploi et la réparation. Il s’agit aussi de réduire les ressources utilisées pour la production, qu’il s’agisse des matières premières ou de l’énergie. Dès la conception du produit, les préoccupations d’économie circulaire doivent être prises en compte.
L’économie circulaire rencontre le triple enjeu du développement durable, les enjeux environnemental, social et économique. Elle crée de la valeur et de l’emploi durable tout en diminuant l’empreinte écologique de la production et de la consommation. C’est une branche industrielle déterminante pour l’avenir de nos économies industrielles avancées et pour celui de la planète et des êtres vivants qui y habitent.
Bienvenue, donc, à "Circular Wallonia" (1), la stratégie wallonne de déploiement de l’économie circulaire. De nombreux acteurs se réjouiront de cette initiative (2).
Attardons-nous sur la méthode qui a présidé à la construction de cette stratégie ainsi que sur la gouvernance qui va l’accompagner car elles augmentent de beaucoup les chances de réussite du projet global. Elles répondent aussi aux recommandations faites par les économistes prônant une nouvelle vision de la politique industrielle que j’avais approchée lors d’une précédente chronique (3).
La stratégie n’a pas été élaborée dans les bureaux fermés de l’administration ou des Cabinets, elle a été nourrie par une vaste consultation de tous les acteurs, entreprises, fédérations sectorielles, secteurs associatifs, administrations et citoyens. Ainsi, des tables rondes de co-construction des actions ont été organisées entre septembre et novembre 2020 avec la collaboration du Creative Lab, laboratoire d’innovation public au sein du SPW.
Bien sûr, il faut trier, organiser, rassembler, mettre en cohérence ce qui remonte du terrain. II faut aussi se méfier des lobbyings, des corporatismes, des particularismes, mais ce sont tout de même les acteurs qui savent le mieux ce dont ils ont besoin pour réaliser leurs projets. C’est aussi par la consultation des forces en action qu’on peut discerner ce dont elles sont capables, mais aussi d’écarter les projets qui ont peu de chances d’aboutir.
Comme nous l’écrivions en début de chronique, cette stratégie rassemble trois ministres concernés par le domaine. Cette cohérence entre les différents ministres – et leurs actions – est un facteur d’efficacité pour la politique industrielle. Il arrive bien souvent que d’autres politiques – d’innovation, de l’emploi, administratives, commerciales – viennent affaiblir les politiques industrielles par manque de coordination ou d’un "engagement" ("commitment") commun. On se souvient, par exemple, que, à l’occasion des différents plans Marshall, le ministre de l’Économie de l’époque, Jean-Claude Marcourt, se retrouvait souvent bien seul pour les mettre en œuvre, alors que les politiques de l’emploi, de l’environnement, de l’aménagement du territoire, de la simplification administrative avaient autant d’importance, sinon parfois plus, que la politique économique elle-même.
Dans la cas présent, on peut simplement regretter que le ministre de l’énergie, Philippe Henry, n’ait pas été associé, quitte à faire une entorse au sacro-saint équilibre des partis.
Autre dimension importante dans la philosophie de "Circular Wallonia" est la volonté d’une grande flexibilité, adaptabilité. Pour citer le communiqué de presse : "Les actions […] suivent une approche flexible et seront périodiquement mises à jour compte tenu de l’évolution de l’industrie, des entreprises, de l’évolution des législations, et des modes de consommation". C’est tout un état d’esprit pour des décideurs publics que d’être prêts à remettre en cause certains pans de leur politique, d’abandonner ce qui n’est pas efficace, de renforcer ce qui l’est, de réorienter certains soutiens. Une attitude qui intègre le changement est essentielle pour la bonne marche d’une politique industrielle. Comme l’écrivaient K. Aiginger et D. Rodrik (4) : "La politique industrielle est un processus d’apprentissage dans un territoire inconnu".
Un outil indispensable pour mener à bien ce "processus d’apprentissage" est le monitoring et l’évaluation. Pas simplement un monitoring de ce qui a été dépensé ou des actions qui ont été mises en œuvre. Un monitoring d’exécution des actions est évidemment indispensable pour s’assurer que les "outputs" de ces actions soient solides. On ne peut cependant pas s’arrêter là. Les étapes suivantes consistent à mettre en place une évaluation, presque en temps réel, des "résultats" (comment et pour en faire quoi les différents acteurs se sont-ils approprié les différents outils) et des "impacts" (quels effets ont eu ces résultats sur l’activité économique, l’emploi, l’environnement, le comportement des différents acteurs). Cette séquence de l’évaluation permet de bien clarifier les effets d’une politique et donne la possibilité d’intervenir au bon niveau pour améliorer la stratégie.
Dans cette optique, ce qui est prévu dans le document "Circular Wallonia" (p. 104) nous laisse sur notre faim. On n’y parle que des indicateurs de réalisation des mesures, qui ne sont pourtant que la base de l’évaluation. À quoi bon qu’une mesure ait été réalisée si les résultats qu’elle engendre sont médiocres et l’impact très faible ? Une évaluation trop peu poussée s’est révélée être une des grandes faiblesses des différents plans "Marshall". On y avait rigoureusement tenu la comptabilité des dépenses et des actions entamées, mais on s’était peu inquiété de leur efficacité. D’où les déceptions.
Peut-être que le "tableau de bord" qu’il est prévu de dresser intègrera ces indicateurs de résultats et d’impacts. Mais on serait soulagé si l’intention était plus explicite.
Cette chronique touche à sa fin, et pas un mot sur le contenu de la stratégie, nous reprochera le lecteur frustré. C’est vrai. Mais les bonnes mesures découlent d’un bon processus d’élaboration, elles viennent d’elles-mêmes si la concertation avec les acteurs s’est bien déroulée. À se remémorer les différents plans qui ont été déployés en Wallonie dans tous les domaines, ce n’était pas sur le fond qu’ils pêchaient, au contraire, mais sur les faiblesses de leur mise en œuvre, sur l’absence d’une gouvernance forte et cohérente, l’absence d’évaluations en temps réel, l’insuffisance d’adaptation et de réorientation des mesures quand nécessaire.
Souhaitons que "Circular Wallonia", pour sa mise en œuvre et son monitoring, tire les leçons de ces précédentes expériences.
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(1) Le document complet de la stratégie “Circular Wallonia” est disponible à https://borsus.wallonie.be/files/Document_Circular%20Wallonia.pdf
(2) L'Institut Destrée avait organisé une journée d'étude le 19 janvier 2015 au Palais des Congrès de Namur, en collaboration avec Wallonie Développement, Deloitte et Bio by Deloitte, en présence du ministre Jean-Claude Marcourt. Voir : http://www.institut-destree.eu/wa_files/2015-01-19_institut-destree_feuillet-wallonie_economie-circulaire.pdf et Philippe DESTATTE, Quatre principes d'action pour concrétiser l'économie circulaire, Éléments de synthèse du colloque Économie circulaire : le passage à l'acte, organisé à Namur le 19 janvier 2015, Quatre principes d'action pour concrétiser l'économie circulaire : http://www.institut-destree.eu/wa_files/a01_philippe_destatte_quatre_principes_action_pour_concretiser_economie_circulaire.pdf
(3) http://www.institut-destree.eu/2021-01-25_chronique-economique_didier-paquot.html
(4) K. AIGINGER & D. RODRIK, Rebirth of Industrial Policy and an Agenda for the Twenty-First Century, in Journal of Industry, Competition and Trade, 20, p. 189-207 (2020) - https://doi.org/10.1007/s10842-019-00322-3
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