> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Comment réintégrer les personnes peu diplômées dans l’emploi ?
2021-12 - Namur, le 29 mars 2021. > [pdf]
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Plongeons-nous à nouveau dans le très intéressant rapport 2020 du Conseil supérieur de l’Emploi (1). Dans un premier temps, sujet de notre chronique précédente (2), ce rapport montrait comment l’évolution des qualifications des emplois avait rétréci les possibilités d’emplois pour les personnes peu diplômées et écarté nombre d’entre elles du marché du travail.
Pour compléter notre chronique de la semaine dernière, donnons des ordres de grandeur sur la population peu diplômée. Selon le rapport du CSE, basé sur les statistiques de Statbel (3), en 2019, 24% de la population wallonne des 20-64 ans étaient peu diplômés, ce qui représenterait environ 506.000 personnes. Parmi cette population, 38% (195.000 personnes) ont un emploi, 7% (36.000) sont au chômage, et 54% (274.000 personnes) sont dites "inactives", c’est-à dire qu’elles ne travaillent pas et ne cherchent pas un emploi (1.000 personnes se sont perdues dans les arrondis statistiques). Rappelons que pour l’ensemble de la population wallonne, ces taux sont respectivement de 65%, 6% et 30%.
L’importante conclusion de ces statistiques est que la différence entre la population peu diplômée et l’ensemble de la population wallonne se marque peu sur le taux de chômage mais bien sur le taux d’inactivité, à savoir les individus qui, pour différentes raisons, ne cherchent plus du travail. Pour donner un ordre de grandeur, ce sont environ 120.000 personnes peu diplômées qu’il faudrait sortir de l’inactivité (et leur donner accès à un emploi) pour revenir au taux d’inactivité de l’ensemble de la population (qui, du coup, diminuerait, évidemment). La tâche est immense mais essentielle pour la Wallonie, car on touche ici le cœur de la pauvreté, très importante, de la région.
Pour définir des mesures appropriées de réintégration sur le marché du travail, il faut connaître les causes du renoncement à chercher du travail. Le rapport du CSE en avance plusieurs. La première, la plus évidente, qui a été développée dans la chronique précédente, c’est que, en dépit de la stabilité du nombre des emplois peu qualifiés dans le total de l’emploi, les personnes peu diplômées trouvent difficilement un travail, évincées par les personnes moyennement diplômées. La lassitude prend le dessus, les recherches cessent.
En outre, l’écart financier entre les salaires de base et les allocations sociales est parfois tellement ténu que la prise d’un emploi peut aller jusqu’à entraîner une perte de revenu, si on tient compte de la perte de certaines allocations connexes et des frais qu’encoure un retour au travail, comme les frais de garde d’enfants ou de transport. Il s’agit du bien connu "piège à l’emploi" (que le rapport nomme piège au chômage ou d’inactivité), c’est-à-dire la siutation où le demandeur d'emploi n'a aucun avantage, voire un désavantage, à accepter un emploi, ou lorsque l'avantage est insignifiant.
Pour résoudre ce piège à l’emploi, ce ne sont pas les allocations qu’il faut baisser, car elles sont déjà très proches voire en-dessous du seuil de pauvreté, ce sont les salaires nets qu’il faut augmenter. De nombreuses études économétriques suggèrent qu’accroître l’écart entre allocations et salaires incite à reprendre un emploi, mais ces études n’ont jamais vraiment convaincu les décideurs politiques, ce qui a donné lieu, comme souvent, à des demi-mesures et, comme nous l’écrivions dans une précédente chronique, un demi-mesure ou rien, c’est presque la même chose. L’ouvrage devrait être remis sur le métier : le gouvernement fédéral devrait avoir l’audace de réformer en profondeur l’imposition des bas salaires pour créer un réel incitant à travailler, mais cela demande aussi de réformer l’imposition des salaires moyens pour éviter les effets de palier, c’est-à-dire éviter une progressivité de l’impôt trop brutale à un certain niveau de salaire.
Une catégorie de personnes peu diplômées que des mesures bien ciblées pourraient remettre sur le chemin du travail, ce sont les jeunes qui n’ont pas de diplôme, qui n’ont pas de travail et ne sont pas en formation (4). Selon la manière dont ils sont comptabilisés, le chiffre varie, mais on peut estimer qu’il y a environ 20.000 jeunes qui sont dans cette situation en Wallonie, une proportion plus importante que la moyenne européenne. La solution idéale de long terme est que ces jeunes sortent de l’enseignement avec un diplôme (un des leitmotivs de ces chroniques). Mais à court terme, il faut que les gouvernements régional et communautaire se mobilisent et fassent une priorité de la mise à l’emploi de ces jeunes. Nombreux métiers sont en pénurie, il y a donc des emplois à pourvoir. De gros efforts doivent être entrepris en matière de formation, dont les formations en alternance.
D’autres raisons, plus sociales, écartent les personnes peu diplômées du marché du travail, notamment leur état de santé. Selon les chiffres avancés par le CSE, 16% des personnes peu diplômées s’estiment en mauvais ou très mauvais état de santé, contre 9% pour les moyennement diplômées et 5% pour les hautement diplômées. Le rapport poursuit en soulignant que la maladie ou l’incapacité de travail sont aussi beaucoup plus fréquemment citées comme raisons d’avoir quitté son emploi précédent : 28% des personnes peu diplômées, contre 19% en moyenne. Cette population pose un problème de santé publique que les mesures économiques ne peuvent pas résoudre.
On peut aussi circonscrire un groupe de personnes peu diplômées, au chômage depuis longtemps, plus âgées, et dont les chances de retrouver un emploi, même avec un accompagnement, sont minimes. Pour ces personnes, le seul moyen de retrouver une activité est sans doute via des emplois dans le secteur public ou subsidiés, par exemple dans le secteur d’aides à la personne. Des programmes publics se justifient, pour autant que le groupe ciblé soit les réels bénéficiaires et qu’on n’assiste pas, une fois de plus, à un effet d’éviction par des personnes plus diplômées et moins éloignées du marché du travail.
Cette chronique est bien trop courte pour aborder tous les aspects du défi de remettre à l’emploi les personnes peu diplômées. Du moins en a-t-elle montré la complexité, mais n’a sans doute pas rendu justice à la qualité et à la profondeur du rapport du CSE dont la lecture, ne fût-ce que de la synthèse, est indispensable pour tous ceux et celles qui ont en charge les affaires sociales et économiques, quel que soit le niveau de pouvoir.
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(2) http://www.institut-destree.eu/2021-03-22_chronique-economique_didier-paquot.html
(3) Statbel est l’office belge de statistique
(4) Jeunes que l’on regroupe sous l’affreux et stigmatisant acronyme de “NEETS”: Not in Employment, Education or Training”
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