> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Le lien entre R&D (1) et activité économique, l’énigme wallonne
2021-39 - Namur, le 29 novembre 2021. > [pdf]
Monika Wisniewska - Dreamstime
On le sait, la relation entre les dépenses/investissements en R&D et l’activité économique est un sujet phare de la littérature et des débats économiques : dans quelle mesure les dépenses en R&D accroissent-elles l’activité économique et améliorent-elles la nature de la croissance ? Les études et analyses sur ces questions débouchent généralement (mais pas toujours) sur des réponses positives, bien que le lien soit toujours difficile à cerner. Il suffit de taper "R&D and economic growth" dans son moteur de recherche préféré pour mesurer l’abondance de la littérature sur le sujet. Citons simplement l’étude de l’OCDE de 2015 (2) qui avait économétriquement mis en évidence un lien positif entre R&D et activité économique.
La théorie et les études empiriques penchant pour un lien positif, les recommandations de politique économique ont, depuis 30 ans, insisté sur la nécessité pour les pays et régions d’investir massivement dans la R&D et l’innovation.
Dans une précédente chronique (3), nous avions montré un lien statistique positif entre l’indicateur d’innovation publié par la Commission européenne, les dépenses R&D et le PIB (4) par habitant dans les régions d’Europe. Mais, déjà, à cette occasion, nous avions noté que la Wallonie présentait une situation singulière avec un bon score d’innovation mais un PIB par habitant assez faible.
A l’occasion de la publication des dernières statistiques de dépenses en R&D (2019), ce hiatus wallon entre dépenses R&D et PIB s’est encore accentué. Sur le graphique ci-dessous sont mis en relation les dépenses R&D en pourcentage de PIB (l’axe des abscisses) et un indice de PIB par habitant (l’axe des ordonnées) (la moyenne européenne étant égale à 100). Sont repris tous les pays de l’Union Européenne (chaque losange sur le graphique représente un pays) à l’exception de Malte, de Chypre et du Luxembourg, mais en incluant la Flandre et la Wallonie.
Le tableau figure en taille réelle dans le fichier <pdf>
référencé sous le titre de la chronique
On peut voir que la relation positive entre dépenses R&D et PIB est assez bien respectée puisque le nuage des points montre assez clairement une courbe ascendante vers la droite. La Flandre (point vert) présente une relation attendue. Deux points sortent à l’évidence du mouvement général : celui de l’Irlande (point orange) où le PIB par habitant est très élevé au regard de dépenses en R&D assez limitées. Mais on sait que les chiffres du PIB irlandais doivent être pris avec beaucoup de prudence (5).
L’autre évidente exception est la Wallonie (point rouge). Alors que tous les pays qui présentent une part des dépenses R&D dans le PIB supérieur à 3% sont très largement au-dessus de l’indice 100 du PIB par habitant, la Wallonie, avec 3,4% de dépenses R&D en termes de PIB, ne présente qu’un maigre indice 86 de PIB par habitant.
Comment expliquer cette singularité ? Cette question mériterait sans nul doute une analyse approfondie. Il est en effet décourageant de faire le constat que, contrairement à ce que l’on peut observer pour tous les autres pays (et sans doute régions), un montant important de dépenses de R&D n’est pas associé à une économie de haut revenu. Ce phénomène n’est en fait pas nouveau, depuis de nombreuses années, la hauteur des dépenses en R&D aurait dû être liée à un PIB plus important en Wallonie.
Plus grave, les dépenses en R&D n’ont fait qu’augmenter durant les 10 dernières années sans qu’il y ait une progression dans l’indice du PIB par habitant. La Wallonie n’est pas maudite, des explications rationnelles doivent expliquer ce phénomène, elles sont indispensables pour garder la confiance dans la nécessité d’une politique large de R&D, ainsi que pour la réorienter, si nécessaire, à la lumière des analyses.
D’autant que, sur le plan micro-économique, la démonstration empirique est faite : ce sont dans les secteurs très technologiques, souvent sur la base de recherches universitaires, que sont apparus les succès industriels wallons. Le plus spectaculaire d’entre eux reste GSK, qui comptent 9.000 salariés, mais on peut aussi citer IBA, IRIS, EVS, EUROGENTEC qui ont pris leur envol au début du siècle, et pour ne parler que des exemples les plus marquants. Dans les dernières années se sont développées d’autres belles entreprises: ODOO, I-Care, Multicells, Nyxoah, Novasep Belgique, Mithra, Ogeda, et tant d’autres très prometteuses. C’est sans nul doute sur la R&D et l’innovation que la Wallonie est en train de reconstruire son tissu industriel.
Alors, comment réconcilier les constats macro- et micro- économiques ?
Pour notre part, nous ne pouvons que dégager trois réalités statistiques au départ des chiffes macros des dépenses en R&D, sans préjuger qu’elles soient ou non causes du lien inhabituel entre le niveau des dépenses en R&D et du PIB par habitant :
1. La grande proportion des dépenses R&D du secteur privé dans le total.
Les dépenses R&D des entreprises comptent pour 85% du total des dépenses en Wallonie, contre 67% dans la zone euro. Parmi elles, les subventions publiques sont aussi beaucoup plus importantes. Ce n’est évidemment pas l’importance des dépenses R&D privées qui posent problème, plus y en a mieux c’est, mais la relative faiblesse des investissements publics. On reste étonné de la progression des dépenses R&D des entreprises sur les dernières années : de 2,1 milliards € en 2017 à 3,1 milliards € en 2019. Cette augmentation de près de 30% méritait plus profonde investigation.
2. Une faible activité R&D des structures publiques, et une priorité aux subventions des entreprises.
En Wallonie, l’activité R&D des structures publiques représente seulement 0,9% des dépenses R&D, contre 12% dans la zone euro (16% en Flandre). Pourtant, le total du financement public est dans les mêmes proportions, mais la Wallonie alloue beaucoup de subventions publiques aux entreprises privées, plus qu’ailleurs, et moins aux structures publiques.
3. La concentration de la R&D dans les grandes entreprises.
64% des dépenses R&D wallonnes sont concentrées dans les entreprises de plus de 500 personnes, contre 41% en Flandre. L’activité R&D dans les autres entreprises de tailles plus petites (jusque dans la catégorie 1-9 salariés) est donc beaucoup plus importante qu’en Wallonie. La diffusion des effets positifs des dépenses R&D dans l’économie est donc plus large.
L’exploitation de toutes les données concernant la R&D mériterait une description beaucoup plus détaillée. Si nous en trouvons le temps, nous en ferons un numéro spécial de nos chroniques. Souhaitons aussi que quelqu’un-e dans une université ou service public se penche sur les questions que nous venons de soulever et dont les réponses revêtent une grande importance pour les orientations de la politique de R&D en Wallonie.
________________________
(1) R&D= Recherche et Développement (recherche scientifique et développement expérimental)
(2) https://one.oecd.org/document/DSTI/EAS/STP/NESTI(2015)8/en/pdf
(3) https://www.institut-destree.eu/2021-03-08_chronique-economique_didier-paquot.html
(4) PIB= Produit Intérieur Brut = l’ensemble de la production des biens et services dans une unité géographique (continent, pays, région)
(5) Les statistiques de PIB irlandais sont distordues par les flux financiers des Multinationales, localisées dans ce pays pour des raisons fiscales. La banque centrale irlandaise calcule d’ailleurs un Revenu National modifié, plus proche de la réalité économique, et qui ne représente que 61% du PIB officiel.
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