> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Le marché du travail en Wallonie en 2021 : partie 2
2022-14 - Namur, le 2 mai 2022. > [pdf]
La chronique de la semaine dernière avait entamé l’exploration des statistiques du marché du travail wallon pour 2021, issues de l’enquête sur les forces de travail. Nous renvoyons à cette chronique pour la description de cette enquête et la définition des concepts qui seront à nouveau utilisés dans cette chronique-ci (1).
Rappelons tout de même les grandes conclusions de la première partie de l’analyse : la crise sanitaire a eu un faible impact sur l’emploi et le chômage en 2020, grâce aux mesures prises par les autorités publiques. En 2021, on a pu observer un apparent paradoxe : l’emploi et le chômage ont augmenté de concert. Paradoxe qui s’explique par l’arrivée ou le retour sur le marché du travail de personnes inactives qui n’ont pas trouvé d’emploi immédiatement. Le détail des statistiques par genre montre que hommes et femmes sont revenus dans les mêmes proportions sur le marché du travail, mais que les femmes ont trouvé difficilement du travail, entraînant une augmentation de leur chômage.
Cette dernière observation incite à regarder de plus près les taux d’emploi, de chômage et d’inactivité par genre et par classe d’âge, les situations pouvant s’avérer très différentes selon ces critères et donc réclamer des mesures ciblées de politique de l’emploi.
Le premier tableau ci-dessous reprend les trois taux (emploi, chômage, inactivité) par genre pour quelques classes d’âge : les jeunes (15-24 ans), les populations dans la force de l’âge qui représentent une catégorie assez homogène (25-49 ans) (bien qu’après 45 ans, retrouver du travail devient moins facile). Pour les personnes entre 50 et 64 ans, 3 classes d’âge sont distinguées (50-54, 55-59, 60-64), segmentation nécessaire pour bien appréhender les évolutions des différents taux. Le deuxième tableau donne, pour les mêmes catégories, les populations.
Les tableaux figurent en taille réelle dans le fichier <pdf> référencé sous le titre de la chronique.
Première observation d’ordre général, le taux d’inactivité des femmes est supérieur à celui des hommes dans toutes les catégories d’âge. Inciter les femmes à entrer ou revenir sur le marché du travail est sans doute une des grandes priorités de la politique de l’emploi en Wallonie. Ce n’est pas un objectif aisé à atteindre : les femmes sont encore plus que les hommes assignées aux tâches du foyer, ce qui les freine à chercher un emploi. La situation la plus difficile est celle de la famille monoparentale dont l’unique parent, dans la majorité des cas, est une femme.
Si on entre dans les détails des classes d’âge, l’importance des taux de chômage des jeunes et de la catégorie "force de l’âge" frappe tout de suite (25% chez les 15-24 ans, et 8% chez les 25-49 ans). Or, ce sont les tranches d’âge les mieux formées et qui ont toutes les capacités pour travailler. En termes de population, cela représente 82% des chômeurs (111.000 sur 135.000). Rappelons que ces chiffres se réfèrent à la définition du chômage selon le BIT, ce sont des hommes et des femmes qui recherchent activement du travail et qui sont disponibles pour accepter un emploi immédiatement.
Dans la situation actuelle de tensions sur le marché du travail (abondance d’offres d’emplois, métiers en pénurie), ces chiffres de chômage posent de vraies questions : comment les entreprises ne parviennent-elles pas à recruter alors qu’il existe une population importante disponible et qui souhaite travailler ? C’est résolument à cette catégorie de demandeuses ou demandeurs d’emploi que le Forem doit s’attacher à trouver un emploi, en y mettant les moyens, et en priorité sur les autres demandeurs d’emploi.
Mais on peut observer que dans ces deux catégories, le taux d’inactivité des femmes est largement plus élevé que celui des hommes. C’est donc dès le plus jeune âge que les femmes sont moins présentes sur le marché du travail.
La population dans les trois catégories à partir de 50 ans (50-54 ans, 55-59 ans, 60-64 ans) présente des taux de chômage faibles, voire proches du plein-emploi (entre 4% et 6%). En clair, la grande majorité des personnes de ces tranches d’âge présentes sur le marché du travail ont un emploi. Les taux d’emploi restent bons pour les hommes entre 50-54 ans et 55-59 ans. Par contre, il chute drastiquement chez les femmes, pour atteindre 58% pour les 55-59 ans. Autrement dit, dans cette catégorie d’âge, seulement un peu plus d’une femme sur deux travaille encore. Etant donné le taux de chômage peu élevé, le taux d’inactivité chez les femmes est très élevé (près de 40%), cela signifie qu’un peu moins d’une femme sur deux entre 55 et 59 ans n’a pas d’emploi et ne cherche pas à travailler.
Sans être aussi frappant, le taux d’inactivité chez les hommes est aussi très important : un homme sur 4 entre 55 et 59 ans n’a pas d’emploi et ne cherche pas à travailler. C’est donc dans cette tranche d’âge que se joue le décrochage du marché du travail. Quelles en sont les raisons ? Cette chronique ne peut que poser la question, il appartient aux spécialistes du marché du travail d’y répondre, et surtout aux autorités publiques (gouvernement, administration, agence pour l’emploi) de susciter ces réponses indispensables pour le pilotage des politiques de l’emploi.
Les tendances décelées dès 50 ans prennent une tournure catastrophique à partir de 60 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Le taux d’emploi chute à 40% pour les hommes et à 30% pour les femmes, avec des taux d’inactivité respectivement de 59% et 68%.
Résumons les principaux points d’attention : l’attention doit se porter sur la réduction du chômage entre 15 et 49 ans, tandis que, à partir de 50 ans, la priorité est de faire venir ou revenir les inactifs sur le marché du travail.
Ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux : remettre au travail des chômeurs quand il y a une forte demande de main d’œuvre chez les entreprises réclame une meilleure fluidité dans la rencontre entre offre et demande de travail ainsi que l’amélioration des formations. Les mesures à prendre pour inciter les personnes à revenir sur le marché du travail sont tout autres : ces sont les mesures pour lutter contre les pièges à l’emploi, pour améliorer les environnements sociologiques et psychologiques.
Enfin, ce sont surtout les femmes qui, dès le plus jeune âge mais avec une accélération à partir de 50 ans, n’entrent pas ou sortent du marché du travail. Ce constat demande donc des mesures spécifiques.
Il est important que cette segmentation des difficultés sur le marché du travail selon l’âge et le genre soit prise en compte dans les stratégies d’action des opérateurs publics impliqués dans le marché du travail. Essentiellement, il faut remettre au plus vite au travail les populations jeunes pour éviter qu’elles quittent à terme le marché du travail, même si cela implique de porter moins d’efforts sur d’autres catégories de chômeurs. La dispersion des moyens limités sur toutes les catégories des demandeurs d’emploi est sans doute une des causes de la persistance du chômage de longue durée (qui est, à l’origine, un chômage de courte durée qui n’a pas été résorbé) et du faible taux d’emploi (dû au découragement d’une population qui cesse de chercher un emploi).
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(1) https://www.institut-destree.eu/2022-04-25_chronique-economique_didier-paquot.html
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