> Progresser dans les outils de transformation de la Wallonie
Journée d'étude, vendredi 21 mars 2025
Namur, Parlement de Wallonie > Feuillet [pdf]
Photos : Li Bia Moment srl eWoïa (c) Institut Destrée
Keynote
Accroitre la qualité de la décision publique au profit de toutes et de tous
Florence Thys,
Présidente de la Cour des Comptes
Bonjour Mesdames et Messieurs,
C’est avec plaisir que j’ai répondu positivement à l’invitation de l’Institut Destrée et que je prends la parole, devant vous aujourd’hui, pour aborder un sujet crucial : la qualité de la décision publique au profit de toutes et tous.
Nous traversons une période de profondes mutations économiques et politiques.
Face à des finances publiques marquées par des endettements et déficits importants, il est essentiel que nos gouvernements adoptent une gestion rigoureuse de l'argent public.
Dans ce contexte, nos décideurs doivent établir des priorités budgétaires, piloter et corriger les politiques qui n’atteignent pas leurs objectifs.
La Cour des comptes participe à cet objectif, et contribue à améliorer le fonctionnement des pouvoirs publics par l’exercice de ses différentes missions.
Et quelles sont ces différentes missions ?
- Tout d’abord, la Cour des comptes a un rôle de conseiller budgétaire des différents parlements. Elle remet des avis, chaque année, sur les différents projets de budgets et d’ajustements. Ces avis alimentent les travaux des commissions parlementaires chargées d’examiner ces projets de budget. Par cette analyse, la Cour des comptes permet donc le contrôle des exécutifs par les pouvoirs législatifs.
- En deuxième lieu, une autre mission fondamentale de la Cour des comptes est le contrôle financier. Les comptes de l’État fédéral, des communautés et régions, des organismes publics qui en dépendent, ainsi que des provinces sont transmis à la Cour des comptes. Elle procède alors au contrôle de ces nombreux comptes ou, de plus en plus fréquemment, à leur certification. L’objectif de la Cour des comptes est de favoriser un rapportage fidèle, fiable et sincère du patrimoine et de la situation financière des entités auditées à la date de clôture des comptes.
- En troisième lieu, des missions spécifiques ont également été confiées à la Cour des comptes, comme le contrôle des mandats et déclarations de patrimoine, le comptage des élèves ou des prestations confiées aux maisons de justice afin de valider les clés de répartition des moyens fédéraux transférés aux communautés, …. Ces différentes missions participent au renforcement de la démocratie et au fonctionnement harmonieux de l’État fédéral.
- Enfin, et nous allons nous attarder sur ce point, la Cour des comptes réalise des audits thématiques. Cela recouvre, d’une part, des audits de légalité et régularité et, d’autre part, des audits de performance, aussi appelé audits du bon emploi des deniers publics.
Par ces types d’audit, nous évaluons le respect des principes d’économie, d’efficacité et d’efficience des politiques publiques. Je propose aujourd’hui de vous illustrer les besoins en matière de bonne gestion des politiques publiques par des exemples. Je vais vous présenter cinq de nos audits de performance récents. Ils concernent la Région wallonne bien entendu, et le dernier a trait au pouvoir fédéral.
Nous analyserons pour chacun des audits, quatre axes et en tirerons des conclusions.
Nous aborderons d’abord la définition des objectifs des politiques publiques et ensuite les thèmes des trois tables rondes organisées aujourd’hui : c’est-à-dire
- La qualité et la disponibilité des données;
- L’adéquation des ressources;
- Et enfin le suivi et l’évaluation des politiques publiques.
Je n’aborderai pas la pertinence des décisions dès lors que la Cour des comptes ne se prononce pas sur l’opportunité des politiques publiques.
Le premier audit porte sur les aides à la recherche en Région wallonne. Nous avons constaté que :
1. Les objectifs en matière de recherche sont formulés de manière très large, sans être mesurables.
2. Les données sont lacunaires, ce qui réduit l’analyse des résultats des projets de recherche. On ne connait donc pas l’impact réel des aides en matière de recherche.
3. Le financement public de la recherche n’est pas ciblé sur des thématiques de recherche prioritaires qui doivent contribuer au redressement économique de la Wallonie. Les promoteurs peuvent accéder aux aides pour un très large panel d’activités.
4. En conclusion, la politique est essentiellement orientée par une logique de moyens et non de résultats.
Notons néanmoins un élément positif concernant cet audit : le processus d’octroi des aides est mis en œuvre conformément au cadre réglementaire.
Le deuxième audit concerne un thème important et d’actualité puisque Sciensano fait état d’une dégradation de l’état de santé mentale des Belges : en effet, les troubles anxieux et dépressifs sont plus nombreux et la satisfaction à l’égard de la vie s’est amoindrie. Cet audit concerne la prise en charge par des services spécialisés extrahospitaliers des personnes affectées de problèmes de santé mentale en Wallonie.
Quelles sont nos constatations ?
1. La politique souffre de l’absence de priorités ciblées et d’objectifs clairement définis.
2. Les données sur les demandes exprimées auprès des services et sur les bénéficiaires effectivement pris en charge manquent à un niveau agrégé. On ne sait donc pas si toutes les demandes de prise charge sont satisfaites, car il n’y a pas de données précises et connues à ce sujet. Les troubles pris en charge et leur sévérité sont méconnus à une échelle globale. On ne sait pas si ce sont les personnes qui en ont le plus besoin qui sont prises en charge. Les délais d’attente ne sont pas non plus répertoriés. Il paraît difficile, dans ce contexte, d’évaluer le dispositif et de déterminer l’objectif du nombre de places à offrir ou le type de service de santé mentale à mettre en place.
3. Enfin, L’accessibilité géographique et financière est insuffisamment garantie.
4. Dans ce contexte, toute évaluation est impossible.
Un nouveau décret et un nouveau plan stratégique ont été adoptés en janvier 2024. Ils apportent des éléments de réponse à nos constats. Le Cour des comptes vérifiera dans quelques années si le pilotage de cette politique s’est amélioré.
Abordons maintenant le troisième exemple qui porte sur la politique de logement d’utilité publique menée par l’intermédiaire des agences immobilières sociales, les AIS, dont une large part de la gestion est déléguée au Fonds du logement de la Wallonie. Précisons qu’au début de la législature passée, près de 40.000 ménages étaient en demande d’un logement public.
Le soutien aux AIS s'inscrit dans une politique de socialisation du logement privé. Cette approche permet d'étendre plus souplement l'offre de logements à loyers abordables, sans exiger d'importants investissements de la part de la Région.
Quelles sont nos observations ?
1. Le gouvernement wallon avait défini l’objectif de croissance du parc de logement des AIS à 6.000 nouvelles unités au cours de la législature 2019-2024. L’augmentation ne fut que de 1.803 logements.
2. La Région n’oriente pas sa politique en s’appuyant sur des données issues des contrôles et des rapports annuels des opérateurs ou sur une analyse prospective des besoins futurs en logements. Elle n’a pas défini les indicateurs lui permettant de mesurer l’efficacité et l’efficience des mesures prises.
3. Elle ne peut pas s’assurer que les moyens financiers qu’elle octroie par l’intermédiaire du Fonds du logement sont conformes à ses propres objectifs, ni que les besoins du public cible sont effectivement rencontrés.
4. Ainsi, sur base de ces éléments, nous concluons à l’absence de pilotage de la politique relative aux AIS en Région wallonne.
Le quatrième audit, concerne, quant à lui, les parcs d’activités économiques en Région wallonne. Pour votre information, la Région wallonne délimite le périmètre des parcs d’activités économiques par un arrêté de reconnaissance et elle subventionne les travaux d’équipement et de réhabilitation exécutés par des opérateurs.
Lors de cet audit, la Cour a constaté que :
1. La création des parcs d’activités économiques ne s’inscrit pas dans une vision du développement économique au niveau régional. Des outils d’aménagement du territoire sont censés en définir les lignes directrices, mais ils n’avaient pas été actualisés depuis plus de 20 ans.
2. La Région wallonne ne dispose pas d’une maîtrise suffisante de l’information sur les parcs d’activités économiques. Sans cela, il est impossible d’analyser et de piloter efficacement la politique publique en la matière. Les données sont lacunaires ou de mauvaise qualité ou, lorsqu’elles sont collectées, elles ne sont pas nécessairement exploitées par l’administration. À titre d’exemple, l’administration ne dispose pas de suffisamment d’informations sur l’occupation des parcs, leur coût d’équipement ou les recettes y générées. Les entreprises intéressées ne disposent pas d’un accès à une offre centralisée des terrains disponibles en Wallonie. Chaque opérateur diffuse son offre sur le support qu’il souhaite. La publicité de l’offre est donc parsemée, incomplète et inégale.
3. Le suivi financier est lacunaire. Il ne permet pas d’établir le montant total des subventions attribuées à chaque parc d’activités économiques. De plus, les subventions destinées à l’équipement des parcs d’activités sont pour partie affectées à d’autres finalités.
4. En l’absence d’une stratégie régionale et à la suite du manque de maîtrise de l’information, le pilotage de la politique est réduit. Il se limite le plus souvent à répondre à des problèmes ponctuels. Il repose donc plus sur le pouvoir discrétionnaire du gouvernement que sur une approche méthodologique et objective.
Ces constats d’absence de pilotage ne sont bien évidemment pas l’apanage de la seule Région wallonne.
Je terminerai d’ailleurs mes exemples par un de nos audits réalisé au niveau fédéral : l’audit sur le pilotage de la transformation numérique de la Justice par l’État fédéral, car là aussi, nos constats sont exemplatifs de l’absence de pilotage d’une politique publique.
La Justice est globalement encore organisée sur une base papier. Les efforts de digitalisation durant la dernière législature ont été considérables, une part importante des ressources a été allouée à la rémunération d’environ 500 consultants. Le coût de la stratégie de numérisation n’a pas pu être précisé, mais la cellule stratégique du Ministre l’a estimé à 140 millions d’euros pour 2023.
Quels sont les constats de la Cour des comptes à ce sujet ?
1. Il n’y a pas de confiance entre les différents acteurs stratégiques et opérationnels du SPF Justice qui sont chargés de mettre en œuvre les projets de numérisation. Plusieurs projets co-existent mais aucune stratégie unique et cohérente n’a été établie.
2. Il manque un processus performant d’identification et de transmission des besoins. Il y a également un manque de vision d’ensemble sur les connaissances et le matériel.
3. La maitrise budgétaire des projets de numérisation est insuffisante : rien ne garantit que les crédits soient correctement utilisés. Il n’y a pas d’assurance que les projets lancés sont profitables à terme ni même finançables à long terme car il n’y a pas d’évaluation globale des coûts des projets lancés.
4. Enfin, le SPF Justice n’est pas en mesure de fournir un soutien administratif efficace, ni de maitriser les risques de fraude ou encore les risques de conflits d’intérêts et d’influences commerciales associés au recours à la consultance pour exécuter les projets de numérisation.
Cet exemple fédéral clôt la présentation des quelques audits de la Cour que je voulais vous présenter aujourd’hui. Il y en a beaucoup d’autres et je vous invite à consulter notre site internet pour les découvrir. Vous y constaterez que la Cour formule toujours, à l’occasion de ses audits, un ensemble de recommandations qui s’adressent aux Ministres concernés et parfois au Parlement. La formulation de recommandations, la mise en lumière des bonnes pratiques et le rappel de la norme donnent des résultats encourageants. Les administrations semblent avoir pris la mesure du travail nécessaire et s’emploient pour la plupart à le réaliser.
Que disent en synthèse nos recommandations ?
1. Premièrement, pour pouvoir évaluer l’impact d’une politique publique, il faut déterminer, avant sa mise en œuvre, des objectifs réalistes et mesurables. Pour cela, il faut avoir une bonne vision de la situation de départ et du problème à résoudre par l’action publique. Or, souvent les objectifs ne sont pas mesurables ou on ne sait pas s’ils sont réalistes.
2. Pour cela, il est essentiel de disposer de données fiables. Or, les données sont souvent lacunaires ou difficilement exploitables.
3. Une fois les objectifs fixés, il importe de déterminer les actions à entreprendre et les résultats attendus. Pour évaluer si les objectifs sont atteints ou non, il faut disposer d’indicateurs et d’instruments de pilotage.
4. Enfin, il est essentiel de s'assurer que du personnel adéquat, tant en nombre qu’en expertise, accompagne la mise en œuvre de ces actions, et que celles-ci sont suffisamment financées.
5. Sans ces différentes étapes, il est clair que le pilotage des politiques, leur évaluation et la mise en œuvre de mesures correctrices sont impossibles.
Dans ce cadre, il est intéressant de noter que la Cour des comptes évalue la mise en œuvre des recommandations de ses audits thématiques deux à trois ans après la date de publication du rapport d’audit initial. La Cour examine dans quelle mesure chaque recommandation a été mise en œuvre et si les problèmes sous-jacents ont été résolus. Ce suivi des recommandations, qui fait l’objet d’articles ou de rapports publiés sur notre site web, alimente aussi un outil, appelé Monitor, également disponible en ligne. Cet outil permet à chacun, de suivre par audit, par domaine politique ou encore par entité, le degré de mise en œuvre des recommandations que nous avons formulées. C’est un outil de transparence et de contrôle pour toutes les parties prenantes.
Pour conclure, la Cour des comptes joue un rôle essentiel dans notre équilibre démocratique. En publiant largement ses constats et recommandations, elle assure une transparence fondamentale. Nos rapports, principalement destinés aux parlementaires, sont également accessibles à toutes et tous sur notre site internet. Chaque rapport d’audit fait aussi l’objet d’une synthèse et d’un communiqué de presse clairs.
Mesdames et Messieurs, répondre aux préoccupations des citoyens, des entreprises et de toute autre partie prenante. Voilà ce qui nous guide. En effet, nous choisissons nos thèmes d'audit en fonction de leur pertinence sociétale, tout en tenant compte de l'importance des masses financières en jeu.
Avec ces quelques éléments, j’espère avoir nourri votre réflexion sur la qualité de la décision publique au profit de toutes et tous. Il s’agit, me semble-t-il, d’un chantier permanent et d’une grande actualité. Je me réjouis d’assister cet après-midi à la suite des travaux sur les outils de transformation de la Wallonie.
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