> Chronique de la vie économique wallonne : le regard de Didier Paquot
v Get up Wallonia, par où commencer ?
2021-16 - Namur, le 3 mai 2021. > [pdf]
Antonio Guillem - Dreamstime
Quand on lit "Get up Wallonia", le rapport remis par un conseil d’universitaires au Gouvernement wallon le 21 avril dernier, on ne peut être qu’admiratif : quelle somme. En 160 pages (hors annexes), on fait le tour de la Wallonie, du moins socio-économique. On découvre des analyses intelligentes et détaillées des forces et faiblesses de la région, de son économie, de sa sociologie, de sa psychologie collective, et bien sûr, le rapport propose un très grand nombre d’actions et de mesures très pertinentes, organisées autour de 5 axes bien choisis. Tout y est, chaque secteur – privé ou public, chaque catégorie sociale, chaque lobby, et au fond chaque wallonne et wallon, y trouvera quelque chose qui le concerne.
Et c’est peut-être là que le bât blesse. La Wallonie se retrouve devant "Get up Wallonia" comme un joueur de tennis devant un entraîneur qui veut lui faire changer en même temps son coup droit, son revers, son service, son jeu de volée, son lob, son déplacement sur le court, son jeu de jambes, et, en plus, lui recommande comment s’habiller et quelle raquette utiliser. Le joueur sera sans doute impressionné par l’analyse mais posera la question évidente : "Par où commencer ?".
Par où commencer ? Repartons des grands déséquilibres de la Wallonie socio-économique. On parle des déséquilibres qui sont la matrice de nombreux autres. Nous en voyons trois :
- Un taux de pauvreté très élevé : 26% des Wallons vivent dans un ménage en risque de pauvreté (1);
- Un sous-emploi très important : le taux d’emploi wallon est de 65% au quatrième trimestre de 2020 (2);
- Une insuffisante production de valeur ajoutée par le secteur privé (le PIB wallon par habitant est à l’indice 86 de l’indice de la moyenne européenne=100).
Ces trois déséquilibres sont liés. La pauvreté trouve, pour une part, son origine dans le sous-emploi dont le niveau dépend de l’activité du secteur privé. Mais les relations n’ont pas un sens unique, le développement des entreprises est freiné par un manque de personnes qualifiées, manque de qualification qui maintient une partie de la population dans la pauvreté. De même que des plans de lutte contre la pauvreté en faveur de ceux et celles pour qui le travail est une solution trop lointaine ne peuvent se déployer que si les finances publiques se portent bien, elles-mêmes dépendantes du dynamisme des entreprises et de l’emploi.
Encourager le secteur privé pour qu’il crée les emplois qui réduiront le chômage et le taux d’inactivité, et pour qu’il produise plus de valeur ajoutée ressort comme l’objectif socio-économique numéro 1 de la Wallonie.
Précisons encore. Dans un premier temps de reconstruction de l’économie, si on mesure leur impact macroéconomique, tous les emplois ne se valent pas. La Wallonie ne pourra offrir, sur le long terme, un niveau de vie et d’emploi décent à ses citoyens que si elle se dote d’un secteur industriel (dans sa définition large) fort et exportateur (3). Favoriser la création et le développement de nouvelles entreprises industrielles et exportatrices, voilà déjà un objectif plus précis dont deux programmes d’actions doivent aider à la réalisation :
- Un programme pour encourager l’entrepreneuriat et la croissance des entreprises (4). Il faut inciter les Wallons et Wallonnes à se lancer dans l’aventure, et surtout il faut les entourer, les cajoler, leur fournir ce dont ils et elles ont besoin. Mais on ne s’occupe que des projets novateurs, dont la capacité exportatrice est bien réelle. On concentre les moyens sur ces projets. Et on les aide à grandir grâce à des actions de "scaling up", toutes aussi importantes que celles pour la création d’entreprises.
- Une politique R&D et innovation de grande ampleur, où la Région investit beaucoup d’argent (5). Les nouvelles entreprises industrielles naissent de la R&D et de l’innovation (6). Consacrons-y les moyens nécessaires, après avoir réorganisé les mécanismes de soutien à la R&D : moins de financement de projets isolés, une concentration sur des programmes-plateformes dont les thématiques sont des enjeux sociétaux et qu’intégreront les meilleurs des services de recherche et les entreprises audacieuses.
Un des premiers obstacles au développement des entreprises innovantes est le manque de personnes compétentes. Et, réciproquement, le manque de formation est un des principaux freins à l’accès à l’emploi. Encore une fois, ne pas faire dans le détail, tout miser sur la formation et sur l’amélioration de l’enseignement. Ici, on peut reprendre presque la totalité des mesures proposées dans l’axe 1 de "Get up Wallonia", tant sur l’enseignement/formation en alternance que sur l’amélioration des performances des centres de formation.
Former les gens, c’est essentiel, mais il faut encore qu’ils puissent trouver un employeur. Le rôle du FOREM, l’agence pour l’emploi wallon, est crucial. De gros efforts ont déjà été accomplis pour mieux accompagner les demandeurs d’emplois ou aider les entreprises à trouver les compétences qu’elles recherchent. Mais il faut aller plus loin, comme en témoigne le taux élevé d’emplois vacants en Wallonie (7). Sans une efficacité renforcée des services de l’emploi, sans un meilleur "matching" entre l’offre et la demande de travail, l’économie wallonne ne s’améliorera que difficilement.
Ajouter à ces différents programmes de mesures le renforcement de "Digital Wallonia" pour accompagner les entreprises dans leur mutation numérique (8) et le compte est bon pour les mesures prioritaires.
Et l’agriculture ? Et la construction ? Et le commerce ? Et le secteur de la santé ? Et le non-marchand ? Et la culture ? Tous ces secteurs doivent comprendre et accepter que le meilleur moyen de les supporter est de reconstituer un secteur industriel puissant, qui, en créant de la valeur et des emplois stables, bien payés, apportera une nouvelle demande aux secteurs en aval et de nouveaux moyens publics aux secteurs non marchands. On reconstruit une maison par ses fondations, non par son toit.
Il semble que nous n’avons pas, jusqu’ici, fait grand cas de la transition écologique. Elle sera pourtant présente, en filigrane de la politique industrielle et des grands programmes de R&D, qui pourront être complétés par un programme spécifique venant en support de l’activité domestique (rénovation des bâtiments) et des entreprises en mutation.
En résumé, un double objectif : la création d’emplois et de valeur ajoutée industriels, (l’industrie comprise au sens large), cinq programmes d’action : entrepreneuriat et scaling up, R&D et innovation, formation et l’enseignement, marché de l’emploi, numérisation. Voilà mon "Get up Wallonia" à moi, qui mobiliserait toutes les forces gouvernementales et des moyens budgétaires importants. Cette mobilisation collective sur des enjeux limités et précis n’empêcherait évidemment pas les ministres de mener leur politique selon le programme gouvernemental de législature, la fameuse DPR, Déclaration de Politique Régionale.
Simplisme obsessionnel sur l’industrie ? Il faudra alors démontrer que l’industrie n’est pas la force motrice d’une économie. Et que la dispersion des énergies et des moyens vaut mieux que leur concentration.
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(1) www.institut-destree.eu/2020-12-14_chronique-economique_didier-paquot.html
(2) En 2020, la moyenne européenne se situait à 72,4%
(3) www.institut-destree.eu/2020-10-12_chronique-economique_didier-paquot.html
www.institut-destree.eu/2020-10-05_chronique-economique_didier-paquot.html
(4) www.institut-destree.eu/2020-10-12_chronique-economique_didier-paquot.html
www.institut-destree.eu/2020-10-19_chronique-economique_didier-paquot.html
(5) www.institut-destree.eu/2021-03-08_chronique-economique_didier-paquot.html
(6) www.institut-destree.eu/2020-10-26_chronique-economique_didier-paquot.html
(7) www.institut-destree.eu/2021-04-26_chronique-economique_didier-paquot.html
(8) www.institut-destree.eu/2020-12-07_chronique-economique_didier-paquot.html
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